Étirant son propos architectural pour mieux plonger son regard stylistique sur l’Arc de Triomphe, ce triplex, sis dans le triangle d’or parisien, a fait l’objet d’une réécriture magistrale sous la plume manifeste de l’architecte Félix Millory.
L’architecte coche toutes les cases et à la fois aucune ! Taillé pour ce métier qui semble l’avoir personnellement choisi, Félix Millory en savoure chaque aspect, habité par une passion débordante, par un optimisme permanent. Toutes les voies empruntées – tracées sur des sentiers tels que créateur de bijoux, sur des chemins balisés au sein des agences Mathieu Lehanneur ou encore Jakob + MacFarlane – semblent l’avoir conduit à cet instant précis : 2012. Date où son agence du même nom a vu le jour. Moment, où l’architecture, l’architecture d’intérieur et le design ont été convoqués au service d’un quotidien réinventé. De sa sensibilité innée pour l’architecture japonaise, découverte sur les bancs de l’École spéciale d’architecture de Paris, à son goût inné pour le patrimoine français, cet amour de la moulure, de la cimaise et du panneautage, Félix a développé son propre langage conceptuel, à l’aise aussi bien dans le macro que le micro.
Infine, ce n’est qu’une question d’échelles et cette capacité à raconter une histoire, dans le prolongement d’un concept maîtrisé d’un bout à l’autre.
C’est ce qu’il y a de remarquable dans notre métier, nous pouvons passer d’un projet seventies à une réalisation black & white, d’une restructuration de grande ampleur, à l’organisation d’espaces résidentiels, d’un concept-boutique, au dessin d’une lampe. Nous expérimentons. Mon équipe remarquable se plaît toujours à tester, à nous pousser toujours plus loin dans nos retranchements. In fine, ce n’est qu’une question d’échelles et cette capacité à raconter une histoire, dans le prolongement d’un concept maîtrisé d’un bout à l’autre. Naît une signature bâtie sur des notions qui lui sont chères : Une psychologie de l’espace éclairée par une attention toute particulière portée aux transitions, ce vide né de l’entre-deux. Je pense toujours du public au privé, à la façon dont nous allons dérouler les espaces, créer de l’intimité et du confort. Sans jamais oublier la profondeur, d’une importance capitale dans notre appréhension sociologique d’un projet.
L’entrée, un vrai sujet ! J’avais cette vision d’une rotonde, certes complexe, mais qui permettait d’axer toutes les pièces. C’est à la fois fort et très efficace.
Cette réalisation ne fait pas exception et déroule ses fils créatif et artisanal méticuleux, sans jamais les rompre. Félix poursuit : Je suis féru d’artisanat français, cette rigueur sans aucune rigidité et ce travail des siècles que nous remanions et transgressons pour amener le tout vers le XXIe siècle. Dans ce cas, faire du parisien à Paris, mais version Félix Millory : un supplément d’âme sans la nostalgie, saupoudré de cette audace caractéristique. Un défi de taille ! Lorsque nous avons visité le lieu aux côtés des futurs propriétaires, nous savions que la restructuration serait extrêmement lourde. Il figure ce genre d’immeubles labyrinthiques, un puzzle d’extensions et de surélévations. Rien ne fonctionnait en l’état ! Mais le potentiel, bel et bien présent, est décelé. Les clients lui font confiance à l’agence à chaque étape du projet. Ce sont nos fondations à nous, leur soutien, confie l’architecte.
La conception se met en ordre de marche autour d’un premier challenge, recentraliser la circulation autour d’une unique trémie. Nous avons imaginé un seul et même escalier qui appelle les gens et les happe jusqu’au sommet. Puis, nous avons réparti les espaces engendrés, notamment autour de l’entrée. L’architecte d’intérieur sourit : L’entrée, un vrai sujet ! J’avais cette vision d’une rotonde, certes complexe, mais qui permettait d’axer toutes les pièces. C’est à la fois fort et très efficace. Ainsi, dès le premier regard, les perspectives salon et salle à manger s’harmonisent et s’individualisent à chaque pas, portées par leurs aspirations bronze qui aimantent le dialogue et la lumière. La salle à manger devient ainsi un filtre naturel pour rapporter le clair de jour au cœur de cet épicycle. À son extrémité, la cuisine devient stratégique, accessible depuis la zone de service. L’appartement ne recelant aucun ornement ni particule patrimoniale, chaque élément a été élaboré ex nihilo, ouvertures, chambranles, sols, moulures en staff, boiseries, rosaces, corniches ou encore cheminées.
À mi-chemin, le bureau discute avec les toits et la lumière zénithale, par l’entremise de la véranda et de ce jardin suspendu.
Dans ce geste axial, la symétrie fusionne émotionnellement avec les volumes. J’aime que tout soit proportionné, révèle Félix. La vision esthétique affecte le physique. Pour ma part, je trouve que la symétrie est synonyme d’équilibre, autant au service de l’usage que d’un état d’esprit. Puisque après tout, notre mission est de créer des moments de bonheur et de mieux vivre. Nous ne faisons pas que du beau, mais également du bon. Une composition visuelle et fonctionnelle affirmée et appuyée par le jeu de contrastes, de textures, de coloris et l’association des matériaux. Les principaux : le travertin, le marbre Armani Bronze et la laque en bronze métallisé patinée à la main, ainsi que le chêne.
Je trouve que la symétrie est synonyme d’équilibre, autant au service de l’usage que d’un état d’esprit.
Je suis un amoureux du marbre ! Il dégage une vraie sensibilité, une spiritualité, précise Félix. Dans ce cas, je voulais des effets de patchwork, notamment dans les salles de bains, oscillant entre des bandes de travertin sur fond Armani ou vice versa, avec ce travail de veinage assez incroyable qui relie l’ensemble du projet. Ainsi, l’œil devine une multitude de variations chromatiques, des coupures, mais toujours avec cette même rythmique. Spontanément, les parties jour et nuit se dissocient, accueillant à ce niveau quatre chambres, dont une première master suite, avant d’être emportés à l’étage, à travers cette envolée lumineuse, vers d’autres ambiances oniriques. À mi-chemin, le bureau discute avec les toits et la lumière zénithale, par l’entremise de la véranda et de ce jardin suspendu. Le mobilier au diapason s’inscrit autant dans le dessin de l’agence que dans une sélection design et artistique minutieuse, avec des sculptures très organiques. Une œuvre complète.
Photos : Stephan Julliard