Derrière les enceintes végétales, certaines ruelles lyonnaises se plaisent à protéger des regards indiscrets de véritables pépites. Et de surcroît dans le giron de l’Île Barbe.
Vous pouvez tomber dessus par inadvertance lors d’une promenade digestive « bocusienne » ou avoir vos entrées… Qu’à cela ne tienne ! Nous vous ouvrons les portes de cette ancienne usine des années 1930, riche de plusieurs vies. Et notamment la dernière, celle de Raphaëlle et Léon.
De 1930 à 2018…
De profil à la rue, la silhouette architecturale longiligne déroule ses 37 mètres linéaires pour mieux camoufler sa structure massive. Tournant le dos au septentrion, elle laisse défiler ses quatorze ouvertures, côté méridional, avec une précision horlogère. Rythmant les baies vitrées, les trumeaux créent le relief, atténuent cette présence monolithique et protègent les ouvertures, à l’instar de la porte d’entrée vitrée. Cette dernière s’ouvre directement sur la cuisine d’accueil qui, à l’origine, avait ses assises au premier étage, quand le lieu servait de showroom de prêt-à-porter. Généreuse et à la fois cosy, elle défend un style campagne chic, habillée de façades en chêne et d’un plan en ardoise – ou serait-ce « atelier », avec ses verrières caractéristiques ?
Dans ce bastion de 410 m2, nous nous rendons vite compte qu’il ne faut surtout pas ranger la décoration dans des cases. Tout simplement parce que cette atmosphère est le reflet d’une personne plurielle : Raphaëlle, sourit fièrement Léon. Elle a l’œil ! Et quel œil ! Céramiste et restauratrice de tableaux, Raphaëlle a la création qui coule dans les veines. Nous comprenons mieux ces empreintes artistiques distillées de part et d’autre. Si l’on omet les éléments originels comme les fenêtres du rez-de-chaussée, les jours de souffrance, en façade nord, laissant la lumière filtrer délicatement ou encore l’insert, l’ensemble du lieu a été repensé pour faire corps avec l’architecture.
Ainsi les espaces de jour se délestent de tout heurt visuel ; les quatre murs de façade pratiquement seuls maîtres structurels à bord. Tandis qu’au sol, le béton, avec sa finition typique des années 1930, s’exprime avec ses imperfections et ses insertions bois. Comme si le lieu avait toujours évolué ainsi. Une totale symbiose avec le bâtiment, mais sans perdre de vue le confort actuel : isolation, chauffage au sol, brise-soleil orientable, etc.
…en passant par toutes les époques
En empruntant l’envolée linéaire qui se dilate au contact du salon/salle à manger magistral, nous ne pouvons que valider le talent de notre hôtesse. Libre, le volume est parfaitement maîtrisé par une décoration aux proportions averties et des œuvres plurielles. Sur le versant du salon, la lascivité du tableau de l’artiste peintre perpignanais Nicolas Cussac apparaît au dernier moment sous l’œil amusé du graff monumental, côté salle à manger, réalisé par un collectif dont le célèbre duo Birdy Kids. Customisé, ce panoramique enveloppe de sa présence chromatique tout le décor. Même la table de repas reflète ce penchant pour la création, comme patinée par les oxydes colorants, ruisselant des céramiques fraîchement façonnées par Raphaëlle.
Ici, l’art est au cœur du propos décoratif, mais également les pièces de design. Chacune investit ce territoire à sa manière marquant une époque, à l’instar des meubles Knoll : le fauteuil Barcelona Premium Original datant de 1960, signé Mies van der Rohe ou l’enfilade en bois de palissandre et plateau en marbre de Florence Knoll, 1970, chinée aux Puces du Canal. Ou encore la table basse d’André Simard éditée par Airborne dans les années 50 et dénichée chez Collection of Design. Une passion pour la brocante que l’on retrouve au premier étage jusque dans les salles d’eau, les baignoires et les vasques récupérées de-ci de-là.
Et comme cette maison atypique est le théâtre de toutes les audaces, il n’est pas étonnant d’apprendre qu’elle se transforme ponctuellement en lieu événementiel, propice aux séminaires d’entreprises ou à la location éphémère ! Pour mieux répondre à ces attentes, Raphaëlle et Léon ont pris le parti d’intégrer des systèmes de sonorisation multiroom Sonos ainsi qu’un rétroprojecteur… C’est une maison particulièrement facile à vivre et agréable, comme coupée du monde, conclut Léon. Un lieu où l’inspiration fait loi.
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Photographe Erick Saillet.