Et si la galerie devenait le prolongement du geste, un lieu d’émergence où l’objet retrouve sa profondeur et le regard son intimité ? Un écosystème discret, né du désir de donner voix aux pièces singulières. Fondée en 2020, Objects With Narratives (OWN) inaugure une nouvelle adresse à Genève : Ador. Rencontre.
Après une première galerie à Bruxelles, OWN poursuit son chemin à contre-courant, défendant un design de collection ancré dans l’émotion, l’exigence, le récit. À l’initiative de ce projet, trois passionnés belges unis par la même vision : Nik et Robbe Vandewyngaerde, ingénieurs et architectes – qui ont évolué au sein d’agences telles que Herzog & de Meuron ou encore OMA – et leur ami de toujours, Oskar Eryatmaz.
Comment OWN a-t-elle vu le jour ? Quel a été le geste fondateur ?

Nik Vandewyngaerde : Tout a commencé quand mon frère Robbe et moi avons dessiné nos propres pièces, en parallèle de notre travail d’architectes. Nous avons rapidement rencontré d’autres artistes animés par les mêmes questionnements, les mêmes contraintes. Beaucoup peinaient à produire leurs créations ou à les diffuser, faute de moyens, de logistique, de cadre juridique ou simplement de temps. Nous avons eu envie de mutualiser les forces, de créer une structure qui permette à chacun de se concentrer sur la création. À ce moment-là, Oskar Eryatmaz, ami de toujours et professionnel du secteur commercial, nous a rejoints. Ensemble, nous avons fondé une galerie pensée comme un écosystème, capable de soutenir les artistes dans toutes les dimensions de leur travail. Dès les prémices, nous avons voulu rompre avec le modèle traditionnel.
Quelle est cette approche ?
N.V. : Nous avons bâti notre approche autour de trois piliers fondamentaux, qui continuent de nous guider aujourd’hui : la transparence – sur les prix, les ventes, la relation client –, une commission juste, loin de la norme du secteur, dans un esprit d’équité et de respect. Le troisième, une collaboration à long terme. Nous ne faisons pas que représenter les artistes, nous grandissons avec eux. Notre ambition est d’accompagner leur évolution, de les aider à repousser leurs limites, et à construire une carrière à la fois épanouissante artistiquement et viable économiquement. Nous nous considérons non seulement comme des curateurs, mais comme des partenaires.
Quelle est votre vision de la curation ?
N.V. : Nous ne cherchons pas à empiler des objets dans un espace neutre. Chaque exposition est pensée comme une expérience. L’enjeu, c’est de raconter une histoire, de créer une atmosphère qui permette à chaque pièce de déployer son récit. La manière dont un espace est agencé influence profondément la perception d’une œuvre. Une composition juste peut en révéler la poésie, pro-voquer une émotion, marquer durablement le regard. Contrairement à la plupart des galeries qui se replient sur le blanc et la neutralité, nous utilisons la couleur comme un outil narratif à part entière. Elle prolonge l’identité de l’objet, elle ancre les pièces dans un univers sensible. Ce sont ces environnements que nous construisons avec soin, qui font que nos expositions sont vécues de manière intime, presque comme une rencontre.
Qu’est-ce qui vous guide dans le choix des designers que vous représentez ?
N.V. : Chez Objects With Narratives, l’histoire est – celle de l’objet comme celle de son créateur. Les collectionneurs ne cherchent pas seulement une pièce, mais un lien : une mémoire, un parcours, un récit intime. C’est cette résonance émotionnelle qui rend une œuvre inoubliable et qui a inspiré notre nom. Au-delà du récit, nous accordons une importance majeure à l’artisanat. Nous sommes attirés par les œuvres qui repoussent les limites des matériaux ou des techniques, réinventées dans l’intimité de l’atelier, là où innovation et tradition se rencontrent. Nous excluons les productions industrielles et les éditions illimitées. Pour nous, rareté et authenticité vont de pair. Chaque pièce que nous exposons porte une vision singulière, une exigence d’exécution, la trace de la main et de l’esprit.
Y a-t-il une œuvre qui a cristallisé cette démarche ?
N.V. : La collection Blend de Ward Wijnant a été un moment charnière. Pour cette série, il a imaginé une marqueterie contemporaine à partir d’un seul arbre, un pin, qu’il a découpé puis recomposé en inversant le sens du fil du bois. Ce patchwork révèle comment une même matière peut exprimer des identités multiples selon l’angle, la coupe, la lumière. Il a ensuite teinté naturellement les surfaces, accentuant les rythmes du motif. Ce travail, qui nous a profondément touché, incarne tout ce que nous défendons : un geste précis, un lien à la matière, une technique devenue langage narratif. La collection a fortement résonné chez les collectionneurs et a donné le ton à notre manière de raconter des histoires à travers les objets.
Vous avez commencé en ligne, avant d’ouvrir une galerie à Bruxelles, puis aujourd’hui à Genève. Comment cette transition du digital au physique s’est-elle opérée ?
N.V. : Lors de notre présentation au PAD London en 2022, nous avons constaté un véritable engouement : les grands collectionneurs étaient engagés, curieux et en redemandaient. Il y avait un appétit clair pour des pièces uniques, porteuses de récits, mais aussi pour un lien plus profond, une forme de crédibilité et de continuité au-delà de l’événement. Cette prise de conscience a ouvert un nouveau chapitre : il nous fallait un lieu qui dépasse le rythme éphémère des salons. Un espace pour déployer notre approche de la curation, créer des rencontres entre collectionneurs et artistes et proposer des expériences immersives à la hauteur des pièces présentées. OWN avait besoin d’un ancrage permanent pour franchir une nouvelle étape.
Que représente cette nouvelle galerie à Genève pour vous ?
N.V. : Nous voulions un lieu plus intime, plus confidentiel, pour nouer un lien personnel avec nos collectionneurs. Là où Bruxelles incarne une galerie classique, Genève offre un esprit radicalement différent. Ce nouvel espace n’a pas été pensé comme une galerie au sens strict, mais comme un lieu habité, une manière de montrer comment art et design peuvent s’intégrer à la vie quotidienne. Chaleureux, domestique, il porte une charge émotionnelle forte. Cette ouverture marque une étape clé : elle inscrit OWN dans une dimension internationale, tout en restant fidèle à notre approche sensible et narrative.
Comment percevez-vous l’évolution du design de collection aujourd’hui ? Selon vous, assiste-t-on à une redéfinition du luxe, de l’artisanat ou de l’objet en tant qu’œuvre d’art ?
N.V. : Le design de collection tend clairement vers l’unicité : des pièces singulières, innovantes, issues d’une exploration profonde de la matière. On observe un regain d’intérêt pour des techniques nouvelles ou oubliées et une volonté de repousser les limites entre fonction et sculpture, entre design et art. Ce mouvement va au-delà de l’esthétique : il traduit un besoin culturel d’authenticité, d’intention et de savoir-faire. Les frontières entre art et design s’effacent peu à peu, les disciplines se nourrissent mutuellement. Le design gagne ainsi en reconnaissance, non comme simple objet, mais comme expression culturelle à part entière.
Quels sont vos nouveaux territoires d’exploration ?
N.V. : Nous souhaitons approfondir les liens noués avec nos collectionneurs et nos artistes, en renforçant nos services et en imaginant des événements plus exclusifs, plus ciblés – des moments d’échange intimes où art, design et dialogue s’entrelacent avec sincérité. Chaque exposition doit aller plus loin : plus aboutie, plus immersive, plus ambitieuse. La qualité, le récit et l’émotion resteront au cœur de notre démarche. Nous préparons nos premières expositions aux États-Unis et en Asie, avec l’envie de collaborer avec un cercle restreint d’artistes audacieux, sincères, portés par le récit. Un nouveau chapitre s’ouvre. Le meilleur est à venir.