Il taille, assemble, brûle, brosse, guidé par l’expressivité brutaliste des formes et de leurs combinatoires jusqu’à ce que la pièce (un cabinet, une table, un chandelier ou encore un banc) advienne. Avec en fil rouge le bois… et le noir, trop rare à son sens en architecture intérieure. Art ? Design ? Au fond, peu importe. Il suit un chemin qui lui est propre, sans balises académiques. Encore moins disciplinaires. Arno Declercq est un esprit libre, pragmatique et sensible à la fois, qui avoue encore se chercher, malgré la cohérence frappante de son travail. Je ne voulais pas vraiment être designer ni même artiste, sourit-il. J’ai étudié l’architecture d’intérieur et l’art pendant une année, mais l’école ne donnait pas assez de liberté, pas assez de place au développement des individus. Je crois que je n’étais pas fait pour ce système.
J’ai étudié l’architecture d’intérieur et l’art pendant une année, mais l’école ne donnait pas assez de liberté, pas assez de place au développement des individus.
C’est un intuitif Arno Declercq. Il fait. Résout des problèmes d’assemblage. Il grandit au milieu des œuvres d’art contemporaines et primitives que collectionne son père, mais aussi des créations minimalistes d’esprits avant-gardistes de la mode, comme Rick Owens, Ann Demeulemeester ou encore Maison Margiela que sa mère propose dans sa boutique. Cela a éduqué mon œil, ma sensibilité esthétique, mon goût du beau, de l’exclusivité, poursuit-il. Alors il tente, prend la mer artistique, fait quelques escales fondatrices, trace une route riche de sinuosités. Sa place est quelque part par-là, il le sait. Il ouvre avec son père une galerie consacrée aux arts premiers qu’ils ferment un an plus tard – trop tôt, ce n’était pas le bon moment pour moi, analyse-t-il –, puis il devient l’assistant d’un sculpteur/designer dont il avait fait la connaissance dans la boutique de sa mère.

Une expérience enthousiasmante qui lui apprend beaucoup, le fait voyager, comprendre les relations avec les clients, leur exigence, et la perfection de la pièce unique. Le défi aussi. Et le met définitivement sur le chemin du faire. En design, je ne trouvais jamais les pièces que j’avais envie de vendre ou d’utiliser dans les espaces intérieurs, poursuit le créateur. Alors j’ai commencé à créer de petits objets et mobiliers, chandeliers, tabourets, etc., que je fabriquais moi-même. En 2018, il entre aux ateliers Zaventem, l’espace de travail dédié aux makers, créé par son compatriote Lionel Jadot à Bruxelles, et développe sa collection en famille (ses parents et ses sœurs travaillent avec lui), ose des pièces plus volumineuses, nourries, entre autres, de sa passion pour l’art ethnographique et le minimalisme brut.
Essence instinctive
Je travaille de manière intuitive, précise-t-il, à la recherche de formes uniques, qui ne permettent pas forcément de comprendre immédiatement que ce sont des objets fonctionnels. Mais c’est ce que je trouve intéressant, cette frontière fine entre la sculpture et l’objet. Leur présence, et leur rapport à l’espace. Et puis à un moment, je vois une table, un cabinet, un fauteuil. La création passe avant tout par le faire, le rapport au volume, la confrontation avec la matière, dans sa massivité. Je suis très inspiré par le brutalisme, du Mexique à l’Afrique, en passant par le Japon. Et j’ai une passion pour l’art africain. Un vieux masque, les détails des courbures dans le bois, les proportions de la pièce, les jeux de formes font venir les idées. La primitivité qui se dégage de ces objets me touche profondément, et je tente chaque fois de la retranscrire dans les pièces que j’imagine. C’est aussi pour cela que j’utilise le bois. C’est un matériau magnifique au potentiel presque sans limites, que l’on peut travailler facilement, dès l’enfance presque, avec peu d’outils. Le simple fait de changer d’essence pour la réalisation d’un meuble ou d’un objet modifie complètement la pièce : déceler ou non les veines, la patine, jouer avec des finitions, grattées, brossées, craquelées, martelées…
À cet égard, la conception de la collection Zoumey (2019) est passionnante. Une forme, une sorte de parallélépipède déformé, gonflé, à la limite de l’explosion, sorte de bûche brutaliste en iroko brûlé et brossé (l’une de ses essences fétiches), démultipliée, répétée, imbriquée de diverses manières : une forêt (Zoumey, en béninois, d’où le nom) pour soutenir un plateau et générer une table, deux empilements massifs enserrant une planche épaisse pour former un banc, ou une accumulation horizontale créant de légères déformations pour former les portes d’une commode.
J’ai créé plus de vingt pièces avec cette base, ce jeu de combinaisons de volumes massifs. Mais là encore, le potentiel est quasiment infini. Tout comme l’échelle des pièces que l’on peut réaliser, et le monde, l’univers à créer. La surface de travail disponible ne pouvant être une limite, il cherche alors un lieu, en dehors de l’atelier. D’autant qu’en tant que designer et artiste, c’est important de pouvoir contempler l’ensemble de mon travail dans sa globalité.
Cette frontière fine entre la sculpture et l’objet. Leur présence, et leur rapport à l’espace.

Il trouve la perle rare au fond d’une impasse à Anvers, 700 m2 presque aveugles, qu’il réhabilite, et revêt de blanc du sol au plafond. Enfin, un espace où combiner les pièces entre elles, les photographier, exprimer plus clairement le minimalisme brut de son univers créatif à la manière d’un immense croquis en trois dimensions, développer de nouvelles idées, recevoir ses clients, tenter des alliages avec de nouveaux matériaux (métal ou cuir). Organiser des événements. Et partager, aussi. Désormais, lorsque l’on demande à ce créateur qui dit avoir mis du temps à trouver son identité s’il a réussi à la saisir, il répond d’un grand oui enthousiaste. Et les projets ne manquent pas ! Rendez-vous à Anvers puis à Milan…