D’un parti pris conceptuel sortant des déjà-vus, les architectes Caroline Barrès et Thierry Coquet nous désarment une fois de plus avec cette maison de 168 m2, sur les hauteurs de Vienne.
Emmené par une patte architecturale forte, le duo, au travail comme à la ville, surprend à chaque réalisation. Leur secret ? Une empreinte créative en parfaite résonance avec le mode de vie des occupants. L’œil averti reconnaîtra leur plume architecturale. Mais jamais il ne verra deux fois la même maison ! Et particulièrement cette construction très typée, portée par la vision décalée de son propriétaire, le designer Luc Jozancy.
Clair-obscur

Qualifiée de « clair-obscur » par les architectes et de « minimaliste baroque » par le designer, cette maison au demeurant contemporaine, semble plus complexe qu’il n’y paraît. Si son trait linéaire est en parfaite harmonie avec la ligne d’horizon à 180°, plongeant sur les rives du Rhône et la déclivité du terrain, à y regarder de plus près, elle exprime une forte personnalité en marge avec son environnement.
Qui dit nature, dit lumière… Du moins, c’est ce à quoi s’attend Thierry Coquet. Le cahier des charges de la famille Jozancy va s’avérer plus subtil. Le designer lance un défi de taille au couple :
De la lumière oui ! Mais nuancée !
À savoir, nos hôtes évoluaient depuis de nombreuses années dans une maison d’architecte des années 30, restée dans son jus, avec son jardin d’hiver, ses matériaux nobles patinés, un éclairage naturel filtré par des ouvertures rythmées, des espaces feutrés et une dimension théâtrale.
Quand ils décident de franchir l’abîme qui les sépare du XXIème siècle, les propriétaires ne le font pas au hasard : « Nous souhaitions conserver cette qualité des matériaux, cette vision intimiste des zones de vie et surtout cette architecture reliéfée par les contrastes d’une lumière maîtrisée. En tant que designer industriel et objet, je suis attaché à la dimension contemporaine, mais à travers le travail de matériaux de qualité et de la lumière naturelle et artificielle, non pas brute, ni subie, mais tamisée, filtrée, évoluant au rythme des jours et des nuits. »
Luc Jozancy demande alors aux concepteurs d’illustrer ce propos conceptuel, sans partir de l’enveloppe extérieur du bâtiment jusqu’à l’intérieur, mais de prendre le parti inverse. Pour Thierry Coquet, une première :
C’est un projet particulièrement intéressant, qui explore l’univers de la lumière comme un outil architectural structurel. À un tel niveau, c’est une occasion rare pour un architecte !
Modularité spatiale

De cette volonté lumineuse et intimiste découlent la circulation, le rythme des pièces, leur attribution et le choix des matériaux, l’ensemble à même de déterminer la structure extérieure. La composition intérieure, claire, pourrait se définir par deux carrés. Le premier en partie ouest, accueillant les espaces de jour, le deuxième à l’est, dédié aux zones nuit. Mais là encore, Caroline et Thierry n’ont pas dit leur dernier mot ! La scène architecturale va prendre vie au gré d’une partition presque « labyrinthique », valorisée par un dessin fonctionnel, esthétique et modulable, qui est notamment l’une des raisons pour laquelle Luc a choisi ce tandem de choc !
En effet, l’agence Barrès-Coquet se distingue par cette capacité à créer des architectures évolutives selon le rythme de vie des occupants. Elle répond avec brio aux attentes d’un quotidien actuel, que ce soit pour les familles recomposées, la réception d’invités surprises ou les besoins de home office… En ce lieu, cette composition modulable participe aux ambiances contrastées.
À chaque espace, une surprise ! Les cloisons pivotantes, rétractables ou rabattables, les parois coulissantes ou encore les panneaux japonais font naître et disparaître des fonctions, des circulations, des perspectives et des ambiances feutrées ou ensoleillées. Le résultat est bluffant ! Le séjour, volume le plus ouvert, s’illustre tantôt par une superficie de 45 m2, lorsque l’espace bureau est transformé en chambre, tantôt de 60 m2, lorsque ses murs en chêne se dérobent. Tourné vers le paysage spectaculaire, il est lié au nord, à la cuisine longiligne et à l’entrée cosy. Deux modules invariables, conçus comme des boîtes, marquent avec subtilité l’usage respectif de ces espaces de jour. L’un dissimule la zone de cuisson, l’autre le bureau intégré. Ils mettent en perspective un travail remarquable sur l’agencement, réalisé par l’entreprise Brunon (Saint-Étienne).
La zone nuit, répondant à un schéma dirons-nous plus classique, s’illustre avec un coin bibliothèque, pouvant également être transformé en chambre supplémentaire. L’astuce de cette zone réside dans l’élaboration d’un sas intermédiaire menant soit à la suite parentale, soit directement à la case dressing, avant de franchir la porte de la salle de bains de madame ou de la salle de bains de monsieur.
Une déco en résonance

Côté décoration, on retrouve la signature de Luc Jozancy et de son agence Avant Première. Les peintures Ressource travaillent l’ambiance feutrée, sur fond de teintes sourdes, mais n’hésitent pas à réveiller, à délimiter les volumes et à attirer le regard sur des scènes choisies, avec des valeurs tonales plus affirmées.
En regardant le mobilier, chiné, vintage ou contemporain, on note un certain penchant pour la marque Matière Grise. Quelque part oui, puisque Luc Jozancy est l’un des designers de la maison d’édition régionale. On aime particulièrement son interprétation de l’éclairage artificiel. Chaque luminaire est pensé par ponctuation. Le soir venu, l’ombre et la lumière prennent possession des murs et des plafonds. Un ballet graphique particulièrement bien joué par le lustre Vertigo de Petite Friture. On adore sa vision « tamisée » de la lumière naturelle, filtrée à volonté par les panneaux japonais tramés de fils de cuivre et les rideaux opaques, toujours parfaitement ondulés, de la marque Silent Gliss.

Se dessine le panorama, encadré par des fenêtres imaginées comme des tableaux. Le parement devient ce lien entre l’intérieur et l’extérieur, comme la terrasse qui ajoute une difficulté supplémentaire pour la lumière naturelle. Et là, en prenant du recul, la narration architecturale intérieure apparaît tout simplement, rythmée en façade de l’ouest à l’est, par le verre, la pierre et le bardage vertical Neolife® en bois reconstitué. Cette envolée linéaire suit naturellement la légère pente, embrassant de toute sa longueur le panorama renversant. À l’écart, la piscine devient un belvédère, profitant bien évidemment du jeu d’ombre et de la lumière naturelle distillé par le majestueux chêne.
Photographe Erick Saillet