Comme les bons vins, certaines architectures se révèlent pleinement au fil des ans. Elles délivrent leur potentiel dans l’éloquence d’un environnement qui lentement insuffle sa patine. Dès ses prémices, cette maison de 300 m2 a posé les cadres d’une architecture avec une grand A, imaginée par Clément Vergély. Un millésime 2002 qui récolte aujourd’hui les fruits de sa vision innovante et évolutive.
À la source
Revenons dans le contexte de l’épo-que. Alors que Clément Vergély, jeune diplômé de l’École d’architecture de Paris-Tolbiac, doit convolé pour New-York, répondant à l’appel d’une expérience professionnelle aux sein de l’agence de Renzo Piano… le destin le déroute. Eric, propriétaire des lieux, le retient sur Lyon avec ce projet « carte blanche ». Le défi trouve dans le dessin du jeune architecte un écho qui ne finit pas de résonner. Dans la foulée, il crée son agence d’architecture à Lyon et se dévoue corps et âme à ce labeur.
Pour Eric : « difficile de ne pas voir son talent, sa rigueur et la qualité de ses croquis. » Et il n’est pas le seul. De nombreuses fois remarqué, Clément Vergély sera lauréat des Albums des Jeunes Architectes et des Paysagistes, en 2004. Pour l’heure, ce projet instructif, qui l’occupera pendant deux ans, pose les contours d’une vocation et d’une ligne de conduite : « Une architecture intemporelle, partie prenante d’un environnement. »
Inscrite dans le site
Les Monts d’Or vibrent encore des marteaux des carriers. Le massif calcaire a nourrit de ses pierres emblématiques entre gris et jaune, les constructions de la région et les édifices lyonnais. De ces carrières en partie remblayées ne restent que des grands murs de séparation parallèles (murgers ou chirat) qui tissent une toile topographique fracturée. C’est dans ce contexte parcellaire difficile que l’architecte décide de faire fi du territoire pour mieux s’inscrire dans le site, sans rien lui imposer. Pour Clément, une évidence : « ne pouvant nous raccrocher à aucune construction aux alentours, nous avons pris le parti d’asseoir la maison dans le tissu ancien via l’édification d’un mur parallèle au parcellaire et d’un accès piétonnier qui le borde ».
Néanmoins, le Plan Local d’Urbanisme restreint ne permet pas l’élaboration de l’édifice, en retrait des limites séparatives. Mais ce projet a conduit les règles d’urbanisme à réviser leur copie, le maire de l’époque séduit par une cette construction exemplaire. Dès lors, la silhouette architecturale linéaire émerge en dominant le terrain. Imaginée comme une galerie, la partie habitation au sud embrasse le paysage lyonnais, protégée au nord par un mur aveugle de six mètres. Exposés Est – Ouest, la piscine, l’abri de jardin et le garage visent la discrétion.
Une architecture intemporelle, partie prenante d’un environnement
Un challenge béton
Le propriétaire souhaitait avant tout une maison en lien avec l’extérieur, facile à vivre et évolutive. Mais avant d’investir les lieux, il s’est impliqué dans le chantier, en invitant tous les acteurs du projet à voir cette construction comme un défi : « Je voulais qu’ils prennent du plaisir à réaliser cet ouvrage. Et c’est bien ce qu’ils ont fait ! Ils ont donné le meilleur créatif et technique jusque dans les détails et les finitions. »
La maçonnerie a fait l’objet d’un travail d’orfèvre élaboré autour du béton, maître des lieux. Mis en œuvre soigneusement par l’entreprise SEB Feyzin, le béton brut façonne, limite, ouvre et permet à l’architecture de prendre au fil des ans la pleine mesure de son temps. En façade, il se libère d’une empreinte urbaine, teintée avec des agrégats de pierres des Monts d’Or. Banché dans des coffrages de planchettes bois, le béton brossé en prend la forme et l’aspect, jusqu’à reformer ce parallélisme intrinsèque au site. À l’intérieur, il est mis à nu, décoiffé au plafond et brut sur les murs séparatifs, les colonnes ou encore l’escalier structurellement bluffant. Il se patine avec la maison et laisse même entrevoir les marques de crayon à papier des maçons. Un matériau dans son plus simple et complexe apparat.
Une galerie, des dizaines de tableaux
Le propriétaire et l’architecte sont unanimes : « cette maison a atteint aujourd’hui sa pleine maturité ». L’éloquence actuelle est notamment due à cet étroit dialogue entre l’espace intérieur et paysager. En partie sud, les terrasses prolongent le lieu de vie, conçues comme une galerie. La façade vitrée crée la rythmique ponctuée par l’ossature béton. Pour Eric : « Il y a autant de points de vue que de végétaux. De véritables tableaux vivants. De mon lit, depuis mon bureau ou même dans ma douche, j’ai le sentiment d’être à l’extérieur. Il y a une vraie volonté de continuité qui démultiplie les volumes. »
Le jardin partie prenante de cette architecture a été dessiné par le paysagiste Jérôme Vital Durand. Sublime 365 jours par an, il sculpte le végétal à même de s’exprimer différemment selon les saisons, sans jamais tomber dans la tristesse hivernale. Collectionneur passionné et averti, il a créé des scènes en résonance avec l’espace végétalisé.
Art de vivre évolutif
Eric souhaitait un espace qui puisse se modeler selon les événements de sa famille. La master suite et le bureau,
préalablement définis à l’étage supérieur, prennent depuis peu leurs assises au rez-de-chaussée, en lieu et place des chambres des enfants. Un « switch » rendu possible par des volumes affranchis de toutes entraves, mais également par cette liberté de composition insufflée par l’aplat du béton et au sol la pierre de Hauteville. En enfilade, les pièces se répondent. Aucune porte dans la maison ! D’un simple coup d’œil, depuis le hall d’entrée, le regard peut traverser toute la maison. La perspective est maîtrisée ouverte sur un salon cathédrale, avant de se focaliser à nouveau vers la partie nuit. Au fur et à mesure, des recoins se dévoilent et surprennent. Une passerelle jusqu’ici à l’air libre a été conçue pour pouvoir si nécessaire se transformer en un couloir fermé lié au premier étage et annexé, de pair, un studio au-dessus du local technique.
Une extension équilibrée
Dernière née du projet, l’extension de 80 m2, au-dessus du garage, comme si elle avait toujours été présente. Indépendante, elle matérialise un besoin d’espace supplémentaire pour accueillir des bureaux. Cette surface a fait l’objet d’une véritable prouesse technique. Comme suspendue, elle appelle à la légèreté d’une structure en acier IPN. Le porte-à-faux quant à lui est un élément clef, permettant de ramener de la lumière et d’agrandir l’espace pratiquement borgne. À l’intérieur, chaque m2 est optimisé. Les gaines techniques enchâssées dans l’agencement et le plafond, associées à des halos de lumière distillés par une verrière, portent la finition et le détail à son paroxysme, à l’instar de l’ensemble de cette architecture. Un grand cru.
Photographe Erick Saillet