Lorsqu’il s’agit d’éclairage extérieur, nous changeons littéralement de registre. C’est l’heure où l’habitat revêt son habit de théâtre. Du moins… si la scénarisation s’illustre par une conception adaptée.
L’art de la “théâtralisation”
Parce que oui, tout le monde a dîné chez un ami en passant plus de temps à éviter le spot en pleine figure, à opter pour le jeu de zigzag à la recherche d’un faisceau illuminant subrepticement l’assiette, à faire la moue étonnée en découvrant le saumon plus vert que rose… ou encore le loupage de la marche mal éclairée. Pour Dominique Souza, concepteur-lumière chez Puls’Art, groupe BJ Partenaires, les techniques d’éclairage sont aux antipodes de ces cas de figures. Il vous livre tous ses secrets pour dompter le crépuscule : « flatter l’architecture et la végétation avec le juste produit, créer du relief avec la bonne température de couleur, apporter du confort en terrasse avec l’optique adapté… et c’est toute la scène extérieure qui se métamorphose en un formidable lieu de vie. Oubliez la fonction, place à la théâtralisation ! ».
Éclairage extérieur, le maître-mot
« Le contraste ! Il faut se détacher de l’univers indoor et du « zoning », pour mieux se concentrer sur le relief végétal. Il y a trois sortes d’éclairage : la mise en valeur, le balisage et l’accentuation. Tout d’abord il est important d’identifier les points de vue, en lien avec votre intérieur, votre vision depuis votre terrasse et enfin déterminer les chemins d’accès. L’éclairage va venir tout naturellement ponctuer ces scènes. »
Quelle est la solution ?
« En optant pour la mixité. Chaque marque a son point fort. Tout le savoir-faire consiste à utiliser chaque produit à bon escient. La typologie des luminaires est définie en fonction de ce que vous souhaitez éclairer. Et c’est bien là toute la subtilité, qui s’illustre par la connaissance des produits. Aujourd’hui, nous travaillons principalement avec la LED, qui présente l’avantage de proposer le plus large spectre de températures de couleur. »
Donner de la profondeur et du relief au jardin… Le b.a.-ba ?
« Pour valoriser un jardin, l’astuce est de mêler différentes techniques d’éclairage. En premier lieu, nous allons générer l’ambiance globale, avec par exemple des bornes hautes omnidirectionnelles disséminées à chaque extrémité d’un parc arboré, d’une pelouse… Ainsi disposées, ces bornes se distinguent par une aura diffuse non pas dans le but d’éclairer mais de créer un espace lumineux. Notre oeil va capter naturellement les différents contrastes sur lesquels la lumière va se heurter. Si le jardin est à proximité de la façade, il est intéressant de venir s’appuyer dessus, avec un projecteur directionnel ou un filtre appelé 10.45, amplifiant la surface de réflexion avec sa forme elliptique. Une fois cette atmosphère mise en place, on peut se focaliser sur l’accentuation scénique, via des piquets pour valoriser les massifs ou des spots encastrés, des bornes, voire des projecteurs pour asseoir la prestance des arbres. »
Arbres et massifs, la bonne alchimie
« Comme l’ensemble de l’espace outdoor, il ne faut pas tomber dans la surenchère, au risque de générer une pollution visuelle et de créer de véritables murs lumineux. Plus il y a d’éclairages, moins il y a de relief ! Afin de concevoir un lieu agréable, nous allons venir flatter les arbres définis en amont. Nous nous adaptons à chaque sujet. Vous n’éclairerez pas de la même manière un bouleau, un chêne, un tilleul ou un marronnier. La dimension verticale et horizontale est la clef de la scénographie, à l’origine du choix de l’angle du faisceau et l’orientation des optiques. En effet, un faisceau d’un angle de 10° maximum suivra la stature colonnaire d’un cyprès de Florence, mais
ne sera absolument pas flatteur pour un buis… Concernant les massifs, je conseille les piquets. Pour la simple et bonne raison qu’un massif ou un arbuste évolue au fil des saisons. Selon la floraison, le piquet peut être déplacé pour souligner la végétation et varier les mises en scène. »
Sur le terrain
« Au sein d’un parc arboré, évitez la multiplication des spots au pied de chaque arbre ! À savoir, notre oeil s’adapte automatiquement à la luminance (brillance). Plus la luminance est forte, plus il sera gêné et incapable de discerner les reliefs dans la pénombre. Dès lors, mieux vaut éclairer les extrémités d’un jardin, sans exagération, ni sources trop puissantes, mais juste bien calibrées. C’est la teinte de l’arbre ou de l’arbuste qui va venir déterminer la température de couleur de la source, exprimée en kelvin, pour mieux l’accentuer. Par exemple, sur un arbre à feuilles caducs, nous nous référons à la couleur du bois, soulignée par une nuance chaude presque ambrée de 2 000° kelvin, de sorte que même l’hiver le rendu soit esthétique. Pour les persistants, à l’instar du cèdre bleu, nous amplifions la teinte froide avec une température de l’ordre de 6 000° kelvin, à même de jouer avec le reflet des épines. Une haie de bambous peut être l’occasion de travailler un spot de couleur verte. Les plus grands sujets, quant à eux, sont valorisés par des projecteurs LED, pouvant culminer jusqu’à 25 ou 30 mètres. »
Terrasse à vivre
« La terrasse aujourd’hui bouge selon les saisons, les envies. Au vu du design des luminaires actuels, nous préconisons des éclairages nomades IP 65. Tout simplement parce qu’un lampadaire permet de profiter, à table, pleinement de son interlocuteur et de ce que l’on a dans l’assiette ! Dans un coin repas, tous les luminaires qui ne dépassent pas la hauteur de la table peuvent être gênants, au contraire ils sont appréciés dans un coin lounge. À cela on peut ajouter des lampes à poser ou des suspensions. Toujours avec parcimonie… L’idéal est de mixer ces systèmes filaires ou sans fils avec un éclairage de façade intelligent. L’applique dotée d’une optique asymétrique se dote d’un faisceau pointu en direction du ciel, afin de ne pas éblouir le premier étage, pour mieux ouvrir l’angle de lumière côté sol. Le but : récupérer une partie du flux lumineux rétrocédé par une façade claire. C’est la base d’une scène conviviale ! Si la terrasse se dote d’une pergola bioclimatique, il est plus judicieux d’intégrer un système de lumière sur-mesure, avec un IRC (Indice de Rendu des Couleurs) adapté, au risque de dénaturer les couleurs du mobilier, des plats, avec des systèmes existants souvent trop froids, et ce pour un budget égal. Les maisons contemporaines octroient une véritable liberté de composition. L’architecture est mise en relief par un travail de petites appliques directes et indirectes. Éclairer les piliers, les arêtes, les angles ou les porte-à-faux assoit la structure de la maison dans sa dimension la plus architecturale. »
La piscine, source lumineuse
« En fonction du revêtement, la piscine est un projecteur à elle seule. Inutile de baliser à outrance !
À l’heure où elle se rapproche de la maison, il est intéressant d’utiliser la façade comme réflecteur de lumière, définir des scènes satellites comme les massifs, les remblais, profiter de la lumière du pool house ou favoriser des encastrés opalisant à la lumière douce… Dans l’eau, les spots doivent être intégrés dans le sens de la largeur, dans la direction opposée de la maison, afin d’éviter les éblouissements. Pour un bassin de 10 mètres revêtu de mosaïques, deux spots suffisent. Un revêtement plus sombre adoptera un spot supplémentaire. Le couloir de nage peut être travaillé différemment avec des éclairages plus petits, insérés tous les deux mètres, démultipliés par des faisceaux ouverts pour un relief particulièrement élégant. L’éclairage outdoo
r doit prendre en considération la vision de jour. Les bornes, les encastrés, les piquets doivent savoir se faire oublier. »
Les spots intégrés, le juste optique
« Une attention toute particulière doit être portée à l’éblouissement. Les spots encastrés en sont le parfait exemple. La plupart du temps, les gens travaillent des produits basiques inconfortables, utilisés pour le balisage. Aujourd’hui, nous avons la chance de bénéficier d’un certain nombre d’optiques, propices à bannir l’éblouissement. Les optiques asymétriques éclairent sans que la source lumineuse soit visible. Une solution de choix pour sublimer un arbre, une façade, une plage de piscine… Les filtres nids d’abeilles ou striés permettent quant à eux d’élargir le flux de manière plus diffuse. Les optiques symétriques sont à même d’exprimer l’horizontalité d’un arbre avec une embase généreuse de deux ou trois mètres. Afin d’éviter toute luminance, en lisière d’un chemin, on positionne la source de manière plus profonde, mais en perdant néanmoins de la puissance. L’encastré asymétrique s’illustre également dans un escalier, toutes les deux ou trois marches selon les watts utilisés. Une teinte chaude va venir réchauffer le bois, une température froide créera une illusion d’optique intéressante sur un parement ardoise, augmentant l’intensité de la lumière avec un jeu de contrastes. »
Dominique Souza, concepteur lumière