Un seul coup d’œil et tout est dit ! Aucun doute, la signature d’Henry Jacques Le Même est gravée dans ce bois aux côtés de la date 1939. Dans son geste architectural prolifique, il laisse son empreinte manifeste, l’esprit mégevan qui se diffuse encore et toujours. Pour l’architecte d’intérieur Juliette Saier, influencée par les grands maîtres du XXe siècle, et Pascale la propriétaire, un héritage précieux à préserver, à retrouver.
Certains noms continuent de gravir les versants enneigés. Un écho qui résonne un siècle après. Henry Jacques Le Même (1897-1997) est de cette trempe d’architectes qui ont bâti leur propre langage conceptuel, damant la neige vierge de son génie créatif ciselé par son mentor Jacques-Émile Ruhlmann. Dans son sillage, si perceptible, pas moins de 900 projets publics et privés en Haute-Savoie et en France, dont 250 chalets mégevans. Un legs exhaustif (seulement 50 chalets ont été sauvegardés), sur lequel Juliette Saier s’est penchée, détricotant le fil fantasque du maestro pour mieux le broder à sa manière.
De pair, l’architecte d’intérieur, main dans la main avec la propriétaire, nous ouvre les portes d’un autre monde, avec cette curiosité insatiable qui lui est propre. Pour elle, Impossible d’appréhender cette rénovation sans explorer l’œuvre dans son intégralité. Dans sa quête archivistique, elle échange avec Antoine Pioger à l’origine de la Maison HJLM lancée en 2022, rééditant le mobilier de l’architecte sur fond de 300 documents rassemblés. Ensemble, ils remontent le temps. Ce moment précis où la baronne Maurice de Rothschild, plus connue sous le titre de Baronne Noémie, souhaite créer de toutes pièces une station dans les Alpes françaises. En 1921, Le Palace des Neiges sis au mont d’Arbois assoit la reconversion mégevane, ce cocon marquant la métamorphose entre le bourg agricole et le domaine touristique skiable. Tout est à concevoir.
Je suis très attachée à la rénovation de bâtiments qui ont ce supplément d’âme. C’est là que je peux pleinement m’exprimer.
Les grandes fermes montagnardes ne sont bien évidemment pas adaptées à ces nouveaux usages, la fonction agraire de l’époque déterminant la forme. Par un concours de circonstances médicales, Henry Jacques Le Même respire l’air pur curatif non loin, l’œil attentif affiné par l’Art déco et les lignes contemporaines. En 1927, la baronne de Rothschild lui confie l’édification de son chalet. Mais pas question de plagier les constructions suisses ! Toiture à double pente, structure maçonnée composée de poteaux en béton armé supportant les dalles, permettant de varier les espaces intérieurs et de créer de larges ouvertures et fenêtres d’angle, soubassement en pierres du pays, enduit blanc en rez-de-neige, habillage des murs, à chaque réalisation…
Henry Jacques Le Même est à la source de la physionomie du village de Megève.
Henry Jacques Le Même modèle dans le bois, les matériaux du pays, mais également les techniques constructives contemporaines telles que le béton ou la tôle, un nouvel art de vivre en montagne. Le « chalet du skieur » naît. Pionnier dans l’architecture de villégiatures des Alpes françaises, il absorbe dans le dessin les volumes vernaculaires intrinsèques aux fermes de Savoie, adapte dans son trait innovant tout le confort moderne en phase avec les modes de vie d’altitude et, à travers des clairs de jour démultipliés, élève les paysages environnants.
Pour Juliette, Henry Jacques Le Même est à la source de la physionomie du village de Megève. L’architecte Albert Laprade l’avait qualifié en son temps de « perpétuel inventeur », exemple de ces hommes de l’art « complets » qui sont à la fois architectes, urbanistes, ensembliers, décorateurs, dessinateurs.