L’agence MVMZ imprime à La Clusaz une perception architecturale directement inspirée par ses reliefs contrastés. La tête dans la conception et les partis pris expérimentaux, les pieds bien ancrés dans la chaîne des Aravis, en phase avec les défis constructifs liés à l’altitude, les architectes Marion Vittupier et Joseph Marché-Zerna ouvrent la voie à une forme de contact émotionnel avec la montagne et ses enjeux patrimoniaux. Comment ? Par leur capacité à développer un concept de rénovation hors norme.
Il faut encore le voir pour le croire. Avant de renouer avec sa nature rustique, cette ferme centenaire a fait l’objet d’une mise à nu pour le moins peu conventionnelle. Du moins, pour un œil néophyte. Marion et Joseph sont rodés à ce genre d’exercice depuis maintenant 10 ans. Ils en ont même fait l’une de leurs spécialités. La genèse ? Diplômés tous deux de l’ENSAG, l’École d’architecture de Grenoble, en 2009, cette Clusienne et cet Angevin prennent des chemins expérientiels différents, non sans avoir au préalable scellé un pacte tacite : la création un jour ou l’autre de leur propre agence !
São Paulo pour Marion, Paris pour Joseph avant de se croiser de nouveau à Lyon, chacun formé dans des cabinets de renom. De retour à La Clusaz, Marion retrouve son pays natal, terroir familial cultivant la construction de chalets depuis 1950. Un an plus tard, en 2013, Joseph gravit les derniers paliers pour donner vie à l’agence MVMZ avec Marion. Une promesse tenue, prompte à dompter ce nouveau terrain de jeu où leur approche même de l’architecture, liée aux défis urbains, patrimoniaux et mutationnels font sens, à mi-chemin entre constructions existantes et neuves.
Ici, le vrai luxe c’est cette sensation de liberté à l’équilibre entre ces pleins et ces vides.
Pour le binôme : La réduction d’espaces constructibles dans nos communes implique une réflexion sur le patrimoine bâti existant. Si la réhabilitation de vieilles fermes nous passionne, faisant partie de notre domaine d’expertise, nous réfléchissons aussi à la transformation d’édifices construits entre 1960 et 1980 qui nécessitent aujourd’hui une mise aux normes a minima thermique. L’esthétique future de la station repose sur notre capacité professionnelle de l’aménagement public ou privé. Nous cherchons aussi à réadapter l’esthétique des bâtiments qui font l’image de la station.
Une démarche et une sensibilité qui s’inscrivent dans une vision de la rénovation assumée, trouvant dans les contours de cet ouvrage un écho. Séduits par cette bâtisse, les propriétaires, passionnés de montagne, leur ont donné carte blanche pour déployer leur concept unique. Marion se souvient de sa première visite : La ferme à l’origine agricole et pastorale était totalement dans son jus avec un intérieur labyrinthique et morcelé par l’exploitation d’un gîte. La grange était encore existante, avec des traces du passé partiellement effacées. On a tout de suite constaté que le corps principal s’évasait pour embrasser le paysage, sans aucune pièce rectiligne !
Dans leur volonté de préserver un maximum d’éléments originels et cette authenticité chère à la famille, les architectes concentrent tout leur savoir-faire. Joseph rebondit : Au fil de nos diverses expériences, nous avons développé plusieurs techniques qui nous permettent des adaptations tant surfaciques qu’esthétiques, dont celle appliquée ici, avec la création d’une extension en sous-mur. Une solution non négligeable à l’heure où les contraintes liées au terrain s’additionnent, et où chaque mètre carré est un atout précieux. Dans ce cas précis, le procédé employé s’apparente à un système de flottaison. En suspendant la ferme, les architectes viennent assainir le soubassement et creuser ce niveau semi-enterré, accueillant aujourd’hui la piscine, le dortoir et les trois suites.
Dans cette nouvelle lecture animée par ce podium blanc constitué d’arches rappelant les maisons de pays, les madriers retravaillés de manière traditionnelle et ainsi restaurés, côtés adret et ubac, s’affirment avec panache, affinés par le mélèze étuvé éclaté brossé et les palines créées de toutes pièces, comme un clin d’œil à la station. Tout le charme des vieilles fermes est là, précise Joseph. Seulement, on a tendance à oublier les implications d’une intervention contemporaine, comme l’isolation. Pour ne pas dénaturer cette aura originelle et conserver l’épaisseur du madrier, nous avons pris le parti de le traiter sous la forme de claires-voies, telle une seconde peau en lisière du volume principal. Absorbées par le toit à deux pans, ces galeries en plein air, spontanément générées, abritent coins, recoins et patios reliant la bâtisse à ses environnements intérieur et extérieur. Mais le plus étonnant reste à venir.
Dès les premiers pas, la hauteur magnétise le regard et la lumière naturelle. Marion explique : Il y a la projection et il y a le terrain. Il est important d’approfondir la conception et nos premières intuitions, au contact de l’existant. Lorsque nous avons découvert la ferme à nu, une question a émergé : comment pouvions-nous, avec notre propre grammaire architecturale, révéler ce qu’elle avait à nous transmettre ? Cette faille cardinale traversant perpendiculairement l’intégralité de la bâtisse est née de ces réflexions in situ. Joseph confirme : L’idée était de connecter tous les niveaux et tous les espaces, mais également d’aimanter la lumière naturelle, tant sur les galeries extérieures qu’au cœur même du chalet, par l’intégration notamment de trois ouvertures de toit sur mesure perçant jusqu’au rez-de-chaussée. À l’instar des coursives extérieures, cette travée centrale nous a permis de créer des perspectives et des profondeurs de champ, démultipliant les points de vue. Nous avons eu la chance sur ce projet de ne dépendre d’aucune contrainte locative. Ici, le vrai luxe c’est cette sensation de liberté à l’équilibre entre ces pleins et ces vides.
Nous cherchons aussi à réadapter l’esthétique des bâtiments qui font l’image de la station.
Dans cette veine, l’utilisation du métal tant structurel que graphique leur a donné l’occasion de peaufiner ces envolées verticales et horizontales. Marion explique : Nous avons retravaillé une structure pérenne en nous appuyant sur la pièce principale typique des fermes d’alpage, que nous nommons le « brêt-d’âne » – l’orthographe exacte est un vrai sujet ! Un élément massif constitué de la pointe d’âne, appui vertical de la panne faîtière, assemblée à la poutre et aux arbalétriers. Pour alléger le propos, nous avons remplacé le deuxième « brêt-d’âne » par une composition aérienne en métal à l’efficacité structurelle plus performante. Autant de solutions techniques rendues possibles grâce à un formidable travail d’équipe. Marion précise : Tout cela a été possible grâce à tous ces artisans détenteurs de l’expertise, des outils et des connaissances, comme le charpentier-menuisier AD Menuiserie, le serrurier Metalstar, l’électricien Mermillod, le maçon Pochat ou encore le terrassier Renaud Pollet Villard qui n’ont pas hésité à développer des savoir-faire particuliers pour cette occasion.
Une vision collaborative qui s’étend également jusqu’à la confection textile et à l’ameublement conçus en lien étroit avec L’Atelier des Frères. Pour Thibault de Colnet, chargé de projets, un véritable dialogue créatif. Marion et Joseph souhaitaient aller plus loin dans le prolongement de leur tra-vail et composer des pièces en synergie avec l’architecture. Main dans la main avec les propriétaires, nous avons pu ainsi imaginer du mobilier avec des sens fonctionnel et esthétique affinés, comme le canapé modulaire du salon en phase avec la circulation des lieux impulsée par la cheminée giratoire ; la table de repas reprenant dans son piètement le jeu d’arches et la chromatique de la verrière et, par mimétisme graphique, les chaises et la table basse en bois de bout. Des tapis aux têtes de lit, en passant par les rideaux ou les tentures murales, nous avons adapté les références textiles et notre confection à un mode de vie tout autant estival qu’hivernal. Un projet abouti jusque dans les moindres détails qui réenchante de façon alchimique les codes patrimoniaux et contemporains, bousculant intelligemment l’art de vivre à la montagne.
Architecture et architecture d’intérieur : Marion Vittupier et Joseph Marché-Zerna – Agence MVMZ
Confection et ameublement : L’Atelier des Frères