Dans l’entrebâillement d’un hôtel particulier, sis dans le XVIe arrondissement de Paris, une personnalité stylistique se dévoile. Derrière la façade, où flottent encore les effluves décoratifs des Années folles, se dissimule un geste architectural aussi tactile, technique qu’esthétique, balisé par le duo Le Berre Vevaud. Immersion.
Avec l’acquisition d’un niveau supplémentaire, le quatuor familial, établi en ce lieu depuis quelques années, souhaitait réinventer le schéma spatial quelque peu incohérent. Pour matérialiser leurs aspirations, leurs attentes et lever leurs doutes, les architectes d’intérieur Thomas Vevaud et Raphaël Le Berre ont entrepris la refonte totale de la bâtisse, jusqu’à modifier les façades et agrandir le rez-de-jardin. Les projets réussis sont ceux qui se concrétisent par une symbiose entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre, confient les architectes d’intérieur. Du respect, de la confiance et le plaisir d’évoluer ensemble sur un petit bout de vie.
Dès que nous pouvons créer une courbe et la faire dialoguer avec une architecture originelle, nous le faisons.
Cette philosophie prend forme avec la réalisation d’un cahier des charges patiemment décanté où les premières sensibilités, les premiers dessins, les premières intentions s’esquissent à quatre mains. Cela fait 25 ans que nous nous connaissons, sourient les deux amis. Nous avons appris à développer la maturité d’un projet dans un jusqu’au-boutisme permettant l’interaction entre l’architecture, l’aménagement d’intérieur et la décoration. Cette réalisation en est le parfait exemple, un lieu où l’on peut interférer dans la volumétrie afin de tirailler un peu la structure du bâtiment et intervenir sur différentes échelles.
Rompus à cet exercice de carte blanche depuis 2008 – année où leur agence a vu le jour –, les architectes d’intérieur ont fait un table rase nécessaire, absorbant dans les contraintes du lieu la subtilité des éléments patrimoniaux, dont les moulures et boiseries entièrement recréées en staff… Tout en annexant de nouvelles scènes propices à combler plusieurs attentes majeures : un espace fitness, une terrasse et des chambres additionnelles. C’est une famille fusionnelle, particulièrement dans le domaine sportif, souligne Raphaël Le Berre. En ce sens, l’espace wellness était une donnée majeure. Agrandi pour l’occasion, cet espace situé en rez-de-jardin a également permis d’ériger une verrière sur laquelle s’épanouit dorénavant un patio, créé de toutes pièces !
Cet espace extérieur additionnel recentre autour de ses effluves anglais la cuisine et la chambre invités. Ce niveau comprenant toutes les pièces à vivre tire sa personnalité d’une envolée théâtrale de 5,5 mètres de hauteur. Raison pour laquelle le rapport des échelles a été revu et corrigé. Raphaël Le Berre confirme : C’est quelque peu vertigineux. D’où l’idée de concevoir une mezzanine pour obtenir des définitions complémentaires, loger la cuisine en partie basse et aménager sur cet entre-étage, un espace enfant et un bureau madame. Pour son complice : Une nécessité ! Via ce sous-espace, nous avons pu tempérer la volumétrie généreuse. Il n’est pas si évident de cuisiner sous une cathédrale ! Notre recherche tant sur l’agencement que sur les implantations décoratives a suivi cette veine conceptuelle afin de tirer parti au maximum de cette microarchitecture.
Chaque conception est le théâtre de nouvelles créations, le moment propice à l’éclosion d’un objet unique et fonctionnel.
S’attachant donc à dompter cet aplomb, les éléments insufflent à la fois des lignes tendues, mais également, au regard des huisseries restaurées cintrées, des formes spirales. En témoigne l’escalier, qui introduit de pair une notion chère au duo : la matérialité. La matière fait partie intégrante de l’architecture, précise Raphaël Le Berre. Nous jouons sur la contradiction des textures, le frottement entre deux surfaces afin de créer des vibrations à la fois lisses, rugueuses, froides, chaudes qui, dans le mouvement et la forme courbe, dialoguent avec une architecture de facto plus gourmande, pleine et ronde. Thomas Vevaud poursuit : Nous désignons en amont un fil rouge, ici, le parquet en chêne clair, puis nous venons structurer les matières satellites dans le but de rythmer les espaces, tel le chêne brossé noir teinté sur les panneautages et le claustra, ou uniformiser les points clefs, comme le béton ciré noir évoluant sur les marches de tous les escaliers.
Nées de cet endroit inné pour la matière, de belles surprises ! À l’instar du béton banché ponctuant l’espace wellness. C’est au cours d’une escapade dans un hôtel en Italie que l’idée a germé. Nous avons imaginé pour cette boîte, une vision un peu plus rude, mais avec une certaine sophistication, avoue Raphaël Le Berre. Nous avons conçu des banches nettement plus fines, moulées sur des lames de sapin particulièrement tramées et choisies avec minutie
Les projets réussis sont ceux qui se concrétisent par une symbiose entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre.
Résultat, une texture décorative et soyeuse adoucit la brutalité du matériau, sans se départir de sa dynamique architecturée. Tout en dissimulant une montagne de technicité, domotique, climatisation, isolation, etc. À cela viennent s’ajouter tous les états surfaciques mouvants – bronze, marbre, céramique, pierre, textile, verre, etc. –, propres au mobilier artisanal dessiné par le tandem ou chiné de-ci de-là. Chaque conception est le théâtre de nouvelles créations, le moment propice à l’éclosion d’un objet unique et fonctionnel dans lequel nous pouvons cristalliser notre sensibilité, conclut Raphaël Le Berre.
Photos : Stephan Julliard
Stylisme : David Cibert
Production : Ian Philipps