Sous le feu des projecteurs, allumés le 19 octobre dernier par l’inauguration du Centre Spirituel et Culturel Orthodoxe Russe, Jean-Michel Wilmotte s’inscrit comme l’architecte du XXIème siècle. Le projet d’une vie témoin de sa volonté d’établir une étroite relation entre la pratique architecturale et les contextes culturels.
Mais loin de ce tumulte médiatique, nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle de son métier-passion, en le laissant poser sur Lyon son regard bienveillant. Un homme d’architecture qui sait prendre le pouls de son époque.
Mise en ambiance
Direction Paris, 68 rue du Faubourg Saint-Honoré, dans le 12ème arrondissement. Jean-Michel Wilmotte nous reçoit au siège de son agence parisienne Wilmotte & Associés. Mais avant de rencontrer l’homme, il est nécessaire de poser le cadre.
L’immeuble assoit le décor d’une effervescence qui conjugue passé, présent et futur. En ce lieu, chaque personne que nous rencontrons affiche un sourire avenant, loin d’une conduite dictée par de faux-semblants. Ce je ne sais quoi qui promet un vrai moment de partage.
Dans le hall d’entrée contemporain, confortablement assis en attendant la rencontre, difficile de ne pas être aimanté par l’écran qui déroule les projets de demain et les réalisations d’aujourd’hui, du musée d’Orsay (2011) en passant par les bureaux de Google à Londres (2015), du centre de gestion sportive Ferrari en Italie (2015), aux Terrasses de la Presqu’île à Lyon (2019) ou encore la transformation de la Gare du Nord (2023)… Nous nous laissons peu à peu déconcentrer par un va-et-vient permanent de jeunes gens qui échangent avec passion, sans jamais omettre de nous saluer. Des bribes volées trahissent des accents étrangers. Mais après tout, quoi de plus étonnant, l’agence compte 225 collaborateurs, 23 nationalités et œuvre dans 27 pays différents.
Une énergie inspirée et inspirante. Deux étages plus haut, nous cheminons jusqu’à l’épicentre du bâtiment : le bureau de Jean-Michel Wilmotte, spacieux mais pas démesuré, juste les bonnes proportions. Nous ne vous cachons pas que sa stature impressionne, mais invite à l’échange. On prend ! Et si nous parlions un peu d’architecture ?
Une vision omnisciente
Remettons-nous dans le contexte. Jean-Michel Wilmotte a créé son agence en 1975, avec pour cœur de métier l’architecture d’intérieur. En qualité de créatif polyvalent, architecte, urbaniste et designer, il n’a jamais cessé de cultiver une vision architecturale plurielle, qui trouve son éloquence dans la diversification, sans aucune limite d’échelle ou de domaine d’application : « Évoluer sur des sujets différents est le moteur de notre capacité de renouvellement. À l’heure où nous parlons, nous terminons le Centre Spirituel et Orthodoxe, quai Branly, nous préparons le siège d’une banque, nous travaillons sur un palais à Venise, sans compter une université à Moscou… C’est cette pluridisciplinarité qui nous permet de rester créatifs. Je ne suis pas pour la spécialisation. Je m’attache à la variété, en réunissant des talents spécifiques. Nous réalisons beaucoup de domaines viticoles. En ce sens, mon équipe compte des personnes qui savent parfaitement comment fonctionnent un gravitaire, la vinification… »
Une vision architecturale plurielle
Aucune restriction, mais des passions qui font pencher la balance vers des particularités qu’il maîtrise à la perfection, à l’instar de la muséographie. Musée du Louvre (1993-2006), Musée National du Chiado à Lisbonne (1994), Musée des Beaux-Arts à Lyon (1997), Musée des Arts Islamiques du Qatar à Doha (2008), Musée d’Orsay (2011), Musée de l’Arsenal à Kiev en Ukraine (2014)… Et ce n’est qu’un aperçu ! L’art et la transmission semblent faire partie de son A.D.N. : « Contemporain, classique… j’adore l’art. La création d’un musée est une façon didactique de présenter des œuvres à la portée de tous, des enfants, des familles. Pour moi, c’est une notion essentielle très importante. » Sans omettre les nombreux espaces culturels réalisés !
C’est cette pluridisciplinarité qui nous permet de rester créatifs. Je ne suis pas pour la spécialisation. Je m’attache à la variété, en réunissant des talents spécifiques.
Dans cette veine culturelle patrimoniale, Jean-Michel Wilmotte excelle dans la greffe contemporaine, passerelle architecturale entre le passé et le présent. Preuve en est, le projet en cours de la Halle Freyssinet rebaptisée Station F,
imaginée par l’ingénieur Eugène Freyssineten 1927. En 2017, elle deviendra le plus grand campus au monde dédié aux entrepreneurs et start-up.
Mais que nous évoquions les projets urbains, résidentiels ou tertiaires, pour Jean-Michel Wilmotte, le souci d’intégration est omniprésent : « Je suis pour les architectures qui s’intègrent dans leur site, loin des coups de flash. Par définition, une architecture est une création qui s’inscrit dans le détail, la qualité et la pérennité. Nous ne pouvons pas faire la même chose à Toulouse, Tourcoing ou Saint-Étienne ! Tout est déterminé par le quartier où nous nous trouvons, un terrain vierge ou un environnement végétalisé… La contextualisation est primordiale. Nous ne sommes pas là pour faire des concours de popularité. Nous créons des bâtiments pour des gens qui travaillent, qui évoluent au sein de ces cadres de vie. Il faut se concentrer sur un maximum de lumière naturelle, la hauteur sous plafond adéquate, une acoustique optimale, des changements de températures doux. Au centre des préoccupations d’un architecte, ce sont les gens et leur sentiment de bien-être. »
Sa relation privilégiée avec Lyon
Lorsque l’on évoque Lyon, un éclair de fierté paternelle brille dans son regard : « Mon fils est architecte dans cette ville. » Ici, Jean-Michel Wilmotte est en terrain conquis. Son aventure lyonnaise prend sa source au début des années 90, avec la révolution conceptuelle des parkings LPA (Lyon Parc Autos). Il crée une charte d’architecture intérieure pour la rénovation et la construction de huit parcs autos, en sollicitant l’intervention d’artistes ! L’architecte se souvient : « Les dirigeants de LPA étaient des gens visionnaires, stimulés par Georges Verney-Carron (Président Fondateur d’Art Entreprise) qui les a incités à se dépasser. Nous avons réussi à mettre des œuvres d’art dans des parkings souterrains à la vue de tous. C’est un projet qui vieillit bien, en lien avec son époque. »
Copié dans le monde entier, le Parking des Célestins (réalisé en collaboration avec l’architecte Michel Targe et le plasticien Daniel Buren) fait aujourd’hui partie des sites touristiques de la ville. Mais Lyon c’est aussi : « La première ville méditerranéenne de France, par sa couleur et sa densité. J’aime sa composition gravitant entre le fleuve et la rivière, sa presqu’île, ses collines environnantes et ses vrais quartiers. Lyon est très structurée, par l’échelle de ses petites rues et ses promenades à fleur du Rhône. Il y a un vrai rythme, avec des artères transversales agréables et rapides. J’irai même plus loin. Lyon offre des points de vue architecturaux forts lors de sa traversée ferroviaire. Elle a su amener des architectures de qualité le long des voies. C’est unique. D’habitude lorsque vous traversez une ville, ce sont plutôt les faces cachées des immeubles peu valorisantes qui s’offrent à votre regard. »
Et La Confluence dans tout ça ? « Il y a un côté concours d’architectes qui m’amuse. L’idée est bonne. Je passerai sous silence les deux ou trois bâtiments qui à mon sens ne la valorisent pas… La Confluence est aujourd’hui une figure de proue qui envoie un signal fort, démultiplié par le Musée. Une vision du 3ème millénaire. Il faut juste attendre que l’ensemble se patine et laisser la végétation reprendre le dessus. Elle manque encore un peu de vie, de bistrots, de commerces aux pieds des immeubles. Mais je ne m’inquiète pas, c’est une chose que les lyonnais savent bien faire ! Je pense que dans 25 ans, ce sera un quartier avec une force d’attraction touristique puissante. »
En 2019, l’architecte participera pleinement à l’éloquence urbanistique de la ville, avec le réaménagement en cours des Terrasses de la Presqu’Île, le long du quai Saint Antoine : « Le parking existant est une vraie déchirure pour ce quartier, qui empêche les lyonnais de s’approprier les quais. La démolition du parking est une opportunité fantastique de reconquête urbanistique de ce site, pour l’ouvrir sur le panorama exceptionnel environnant : la Saône, le Vieux Lyon et la colline de Fourvière. »
Le projet d’une vie
« Est-il né le projet qui marquera votre brillante carrière ? ». Jean-Michel Wilmotte répond malicieusement : « La Cathédrale Orthodoxe, c’est déjà pas mal ! C’est une chance d’avoir fait ce projet, particulièrement bien situé, en bordure de Seine, en équilibre avec le Palais de l’Alma, le Musée du Quai Branly et la Tour Eiffel, dans la continuité du Pont et de l’avenue Georges V. » À peine inauguré, le Centre Spirituel, millefeuille d’innovations, fait déjà partie des institutions parisiennes.
À la question, « Dans le futur, comment aimeriez-vous que l’on définisse votre architecture ? », l’homme esquisse un sourire : « Je préférerai ne pas le savoir ! Ce que je sais, c’est que lorsque je reviens sur des réalisations construites il y a 15 ans, à l’instar d’une école primaire, cela m’émeut de constater qu’elle s’est patinée, qu’elle reste toujours actuelle et que les enfants ont su se l’approprier. »