Dans ce paysage vallonné, Marine a pu exprimer sa vision bien à elle d’une discipline plurielle qu’elle défend dans sa dimension la plus corbuséenne et qu’elle valorise avec une intuition conceptuelle innée. Ou comme l’exprimerait l’architecte Peter Zumthor : « J’entre dans le bâtiment, je vois un espace, je perçois l’atmosphère et, en une fraction de seconde, j’ai la sensation de ce qui est là ». Puisque Marine Bonnefoy se réfère naturellement à ce maître à penser, qui semble avoir forgé ses principes constructifs depuis les bancs de l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon.
Concevoir, construire, non dans une démarche purement gratuite, mais dans le but de générer quelque chose de sensé, d’intuitif et d’intelligent.
« C’est ce qui m’anime, confie-t-elle, d’orienter le travail de l’agence vers une démarche dite « phénoménologique architecturale », issue des architectes suisses, un courant du XXe siècle donnant à la perception une importance fondamentale dans la conception d’un projet et établissant un autre rapport entre l’homme et son environnement. Concevoir, construire, non dans une démarche purement gratuite, mais dans le but de générer quelque chose de sensé, d’intuitif et d’intelligent. Un bâtiment est fait pour être vécu, pour se sentir bien avant tout. J’adore l’idée de rendre agréable les lieux de vie et de créer une atmosphère palpable ».
C’est précisément dans cette optique sensitive que Marine a appréhendé cette ancienne demeure de soyeux puis vigneronne, en mode carte blanche accordée par ses parents Marie-Laure et Philippe. Si la bâtisse a fait l’objet d’une rénovation conséquente – réseau électrique, chauffage, création des gaines de distribution et d’évacuation, etc –, les plans originels des lieux ont été préservés. En effet, construite en 1867 sur quatre niveaux, comme villégiature d’été, la maison porte en elle des prestations similaires aux appartements canuts : plafonds à la française, cheminées en marbre, modénatures, parquet fougère… soigneusement conservés. Avec toutefois une trace de son passé viticole, au rez-de-chaussée, par la présence des cuvages.
« Notre intervention a été la moins intrusive possible. Nul besoin de déposer les éléments structurels pour le plaisir ! », souligne Marine. « Avec beaucoup d’humilité, j’ai protégé la disposition initiale ainsi que nombre d’éléments patrimoniaux. Chaque espace est parfaitement à sa place et équilibré, se balançant de part et d’autre de la colonne d’escaliers d’une hauteur vertigineuse de douze mètres. La bâtisse invitait spontanément à une déambulation poétique, fruit d’une orientation maîtrisée sur les points de vue environnants.
Ainsi, d’un bout à l’autre de la maison, les perspectives offrent des jeux de lumière incroyables. Des tableaux naturels que l’architecte convoque pour ordonner sa propre promenade conceptuelle et accentuer les strates patrimoniales. Chaque fois que je posais un pied dans la maison, je me postais dans un coin, au fond d’un couloir. Je laissais les portes et les fenêtres ouvertes pour m’imprégner de la lumière ».
Dès lors, la matière architecturale s’étend au rythme d’une colorimétrie changeante extraite du panorama alentour – lie-de-vin, ocre, argile rose, mousse –, s’étire au contact des peintures pigmentées et des patines et se déploie par le biais d’une décoration mûrement réfléchie composée de véritables trouvailles. « Chaque meuble est venu indépendamment, confirme Marine. Je fonctionne aux coups de cœur, oscillant volontiers entre les artistes contemporains tels que Vincent Beaurin ou Odd Matter Studio repéré à la Villa Noailles et les pièces vintage sélectionnées de-ci de-là dans les brocantes, les puces, les galeries, les expositions, à l’instar des chaises graphiques hongroises dénichées sur le web ».
Ce travail combinatoire souligne sa détermination à représenter le métier d’architecte comme un tout, un geste créatif tant extérieur, qu’intérieur, loin de l’idée du concept. « Je déteste cette notion, de devoir justifier tout ce que l’on dessine, de partir d’une image et de la développer. À mon sens, c’est l’antithèse d’un projet, d’une atmosphère. Il faut de l’artisanat, de la matière, du ressenti, de la spontanéité ! »
Production et stylisme : Ian Philipps & Sarah de Beaumont
Architecture d’intérieur : Marine Bonnefoy