À contre-courant ? Pas exactement ! Là, dans leur nouveau sanctuaire niché au sommet d’un immeuble du XVIIe, au pied du Palais de Bondy, les décorateurs de Maison Hand révèlent leur vrai visage décoratif et leur nouveau projet.
Pierre-Emmanuel Martin et Stéphane Garotin, alias Maison Hand, se sont délestés de leur sacro-saint showroom lyonnais, fin 2019, libérant de leurs chaînes leur vision du projet. Même si le couple, à la ville comme à la scène, cultive toujours cet amour inconditionnel du voyage, sa curiosité insatiable pour la création et sa passion culinaire – qu’il explore quotidiennement dans son restaurant, La Table –, il revoit quelque peu sa copie à domicile, en phase avec un monde en plein bouleversement !
Hier encore, vous étiez dans un appartement haussmannien aux volumes XXL. Pourquoi ce changement radical ?
Pierre-Emmanuel Martin : En 2019, nous avons changé beaucoup de choses dans notre vie ! Et surtout nous nous sommes recentrés ! Nous avons fermé notre showroom, au profit d’un studio à étage, rue Pleney. Et déplacé notre restaurant, La Table, place des Célestins. Nous voulions être plus libres, tant au niveau professionnel que personnel et nous concentrer davantage sur les projets. Quant à cette nouvelle résidence, notre objectif était de réduire notre surface de vie. J’adorais notre ancien appartement, mais au regard de l’espace « perdu », ce n’était pas raisonnable. Nous ne sommes que deux !
Qu’est-ce qui vous a séduit dans cet appartement ?
Pierre-Emmanuel Martin : À dire vrai, lorsque nous avons vu l’annonce, Stéphane n’a même pas voulu le visiter ! C’est une amie, tenace – et je l’en remercie – qui nous en a persuadé ! Car, dès le premier coup d’œil nous sommes tombés sous le charme ! Il se dégage comme un parfum de maison de campagne, voire « château moyenâgeux », avec ces ouvertures et ces murs trapus, ces traces de meneaux sur les fenêtres, cette cheminée pierreuse et ce plafond à la française vertigineux (3,5 mètres) ! Au final, il répondait parfaitement à nos conditions sinequanone : de la luminosité, une pièce de réception assez grande pour recevoir copains et famille (36 m2) et un recoin à nous.
Les gens viennent à nous pour notre univers, notre sensibilité, nos choix, nos influences, plus que pour les marques.
Qu’avez-vous modifié ?
Pierre-Emmanuel Martin : Bien évidemment la fonctionnalité des pièces ! Là où se situe le dressing, trônait originellement une cuisine, nous obligeant à repenser l’intégralité structurelle du coin nuit. Comme l’appartement n’est pas très grand, Stéphane a eu l’idée de créer une coque cintrée pour encapsuler la pièce d’eau, qui mène au dressing puis à la chambre, et de pair générer des volumes différents de ce que l’on voit habituellement. Mais également pour gagner de la place, côté chambre. En effet, nous nous sommes aperçus qu’un mur saillant, aux pieds de notre lit, serait vite étouffant et empêcherait une circulation fluide. Nous sommes allés au bout de ce concept en créant notamment les passages arqués. Côté salon, nous n’avons pas touché, proprement dit, à cette pièce de réception, hormis le parquet en lieu et place de cabochons très vétustes. Nous avons réorganisé le tout à notre convenance, en optimisant notamment la cuisine.
Qu’avez-vous absolument tenu à conserver ?
Pierre-Emmanuel Martin : A contrario, nous avons laissé le plafond tel quel. Ce qui, je dois bien l’avouer, n’est pas dans nos habitudes ! En règle générale, nous avons plutôt le coup de pinceau facile ! Mais dans ce contexte, impossible ! Ce plafond à la française est juste superbe en l’état. Ce qui ne nous a pas empêché de repeindre la porte entre la chambre et le salon. Elle nous a séduit avec son aspect « vieille demeure châtelaine », ses clous de tapissiers et sa belle toile de jouy damassée de fleurs.
Quel est, à chacun, votre élément préféré dans cet appartement ?
Pierre-Emmanuel Martin : Pour Stéphane, c’est simple : la cuisine ! Et surtout « son piano Lacanche », derrière lequel il passe des heures ! D’ailleurs, il a conçu l’espace culinaire de pied en cap, comme une cabine de bateau ! Chaque ustensile est à sa place. Il a passé beaucoup de temps à la dessiner, en absorbant dans sa conception cette surface orpheline qui était à l’origine la transition entre les deux appartements de ce niveau, à l’époque unifiés. Cette astuce a permis d’intégrer de nombreux rangements, filant le long de ce « couloir », qui a le mérite de disposer de deux ouvertures, et de libérer la pièce de vie d’une totale emprise. Pour ma part, je pencherai pour la cheminée, élément déclencheur lors de ma première visite !
En ce lieu, est-ce le pur « esprit » Maison Hand qui règne ?
Pierre-Emmanuel Martin : C’est du moins ce que nous aimons ! Aujourd’hui, le fait d’avoir arrêté le négoce de meuble, à proprement parler – puisque nous représentons toujours certaines marques que nous affectionnons particulièrement –, nous offre la possibilité d’être purement dans le projet ! Les gens viennent à nous pour notre univers, notre sensibilité, nos choix, nos influences, plus que pour les marques. Nous sommes beaucoup plus libres de faire des ambiances brutes, des exemplaires uniques, de l’artisanat, du sur-mesure qui, au final, ont toujours fait partie de notre ADN. Mais ici, sans filtre, telle que nous, nous le ressentons. Davantage dans l’intemporel que dans la tendance. Selon moi, c’est cela la vraie valeur ajoutée de notre métier.
Le fait de donner une deuxième chance aux objets et aux meubles est plus que nécessaire !
Comment cette vision se ressent, ici ?
Pierre-Emmanuel Martin : Par la pièce unique ! Nous avons privilégié le sur-mesure, en dessinant l’intégralité de la cuisine, le dressing, le canapé, la tête de lit jusqu’au meuble de la salle de bains. Pour le reste, nous avons bien évidemment conservé tous les objets et œuvres auxquelles nous étions attachées. Des meubles qui sont aussi le fruit de belles rencontres, comme les chaises fabriquées dans le sud de la France par Virginie Lobrot : des assises absolument sublimes tout en cuir sanglé… Et nous avons également, dans notre vision dynamique de la pièce unique, favorisé le vintage. De nombreuses lampes viennent de chez Serge, de la Galerie du Désordre, d’autres meubles chinés dans les brocantes, chez les antiquaires, etc.
La notion de seconde vie vous tient à cœur ?
Pierre-Emmanuel Martin : Le fait de donner une deuxième chance aux objets et aux meubles est plus que nécessaire ! En plus, il existe bon nombre de façons de le faire, comme avec la porte, en chinant ou en réinterprétant une lampe, avec un nouvel abat-jour, etc. J’aime également la notion d’utilité. Pas que beau ! Même si la frontière entre art, artisanat, design est de plus en plus ténu, j’aime l’objet qui sert !
Avec tous ces changements, comment voyez-vous aujourd’hui votre métier ?
Pierre-Emmanuel Martin : Notre travail est nettement plus difficile ! Avant, être décorateur consistait pour beaucoup à repérer des gens, des styles, à associer, etc. Mais aujourd’hui, repérer, c’est facile ! On nous sert absolument tout sur un plateau « réseaux sociaux » ! Et les gens ont tendance à croire qu’ils n’ont plus besoin de bouger pour avoir accès à la connaissance et seraient tentés d’y arriver seul… le plus souvent au détriment d’un univers cohérent ! Car, comment arriver à analyser, digérer et régurgiter la somme d’informations qui nous assaillent, sans un regard professionnel ? Effectivement, beaucoup de choses doivent changer et pas uniquement dans notre métier. Je pense qu’il est impératif de prendre conscience de notre environnement et de se poser les bonnes questions. Heureusement, notre domaine met en perspective de nouvelles recherches sur les matériaux recyclés, se penche sur les économies d’énergie, favorise de plus en plus une fabrication vertueuse… C’est, ce vers quoi nous devons tendre !
Je pense qu’il est impératif de prendre conscience de notre environnement et de se poser les bonnes questions.
Et demain, vos projets ?
Pierre-Emmanuel Martin : Une jolie collaboration. Nous les avons vu évoluer au fil des salons. Nous avons été conquis par leur approche humaine, leur fabrication éthique, leurs valeurs environnementales… Avec leur rachat – même si Axel, l’un des deux frères fondateurs, est toujours à la tête de l’entreprise –, ils ont commencé à travailler avec des designers que nous affectionnons tout particulièrement, comme Vincent Van Duysen. S’ensuit cette collection de luminaires avec Ann Demeulemeester ! J’adore ses fringues, juste sublimes ! Mais alors ses lampes, ce sont des petits bijoux ! Il y a eu également cette collection d’éclairage en papier mâcher… Et aussi, leur vaisselle conçue avec des chefs. Bref, la marque Serax s’est étendue avec brio à toutes les pièces de la maison. Nous sommes allés les voir plusieurs fois à Anvers. Et, ils ont émis le souhait de travailler davantage avec des « univers », des architectes et des décorateurs, à l’heure où Serax peut répondre à cette demande aussi de projets professionnels que résidentiels. Nous avons donc pris le parti de les représenter au sein de notre univers dans notre nouvel espace, rue Pleney, pour que les hôteliers, les restaurateurs et les particuliers puissent découvrir cette marque incroyable !
Visuels : ©Guillaume Grasset