Sept « designeuses », croisées dans les allées du salon du meuble Milan 2018 et dans les showrooms milanais, osent sortir des sentiers battus, faire avec leur personnalité pour proposer un autre regard sur nos usages, nos codes, nos façons d’habiter.
À l’œuvre ? Une créativité décomplexée, débridée parfois, mais rigoureuse et précise, au service d’objets et de produits toujours justes. Honneur aux dames, donc !
India Mahdavi – Pop design
Esprit libre, éclectique et affranchi, la designer et architecte d’intérieur India Mahdavi distille depuis près de 20 ans un art personnel, subtil et en même temps tranché sur la couleur et les formes, entre culture pop, élégance à la française et une capacité immédiate à saisir avec beaucoup de finesse attentes et contexte. Le concept qu’elle signe pour Bisazza Bagno n’échappe pas à cette règle. Elle ose. Pour cette seconde collaboration avec la marque, j’ai fait de la salle de bains standard une bulle de couleur et d’humour, explique-t-elle. Un antidote au minimalisme clinique, façon laboratoire blanc. Comme un jeu, à l’échelle du corps, pour une expérience sensible et sensorielle. Ici la baignoire s’appelle Plouf, le lavabo Splash et le miroir Wow, tous trois parés de couleurs gourmandes (myrtille, fraise et pistache). La mosaïque Pinstripe (inspirée de fines rayures textiles), tout en finesse, recadre l’ensemble, laissant d’exubérance juste ce qu’il faut. Tout un art…
Cristina Celestino – Collectionneuse
Talent émergent sur la scène du design italien, Cristina Celestino, à bientôt 38 ans, affiche un palmarès impressionnant. Editions Milano, Seletti, Lago, Nilufar, Flexform, Atipico, LondonArt… pour ne citer que ces marques. Diplômée en 2005 de l’IUAV (Institut Universitaire d’Architecture de Venise), cette jeune prodige a fait ses premiers pas dans ce domaine avant de s’ouvrir à l’architecture d’intérieur et au design. En 2009, elle crée à Milan son propre studio, Attico, emmené par une recherche approfondie des formes et des matériaux. Avec sa forte créativité, son pouvoir expressif, son design méticuleux, sa géométrie définie et sa passion pour les chefs-d’œuvre du design italien, elle enlace dans ses objets et son mobilier l’ancien et le nouveau, le traditionnel et le contemporain, à même de transmettre de nouveaux messages. Cette année, ambassadrice de Brera Design District, durant la Design Week de Milan, elle fait sensation avec son projet « Tram Corallo », réinterprétant les tramways historiques de la ville.
Inga Sempe – L’air de rien…
Elle revendique un design d’auteur, et les qualificatifs de malicieux ou d’évidence des objets sont souvent utilisés à propos de son travail, à l’instar du canapé Ruché (du nom de la technique de plissage de l’assise) qu’elle signe chez Ligne Roset en 2014, sur lequel nous la retrouvons en janvier dernier dans le showroom d’Alcantara, à l’occasion de Paris Déco Off et de la nouvelle collection capsule de textile technique, Tara. Parmi les nouveautés qu’elle présentait à Milan, la poignée de porte, madeleine, pour la marque italienne DND est assez représentative de son approche : fine, avec un brin d’humour, parfois pince-sans-rire, et industriellement très aboutie, l’air de rien. Madeleine n’est ni un bec-de-cane ni une poignée bouton, elle est entre-deux, explique-t-elle. Des cannelures ondulent sa surface, mais elles sont émoussées pour que son volume reste doux en main comme un savon. Un objet élégant, original juste ce qu’il faut, et disponible en trois finitions : noire, nickel poli et PVD doré brillant.
Margaux Keller – Supplément d’âme
Elle a ouvert son agence à Marseille en 2012 après un passage chez Philippe Starck et une année de résidence à La Fabrica en Italie, le centre de recherche et de création de la marque Benetton. Depuis, de projets d’édition en aménagements intérieurs, elle distille univers chic… et incarné. Un monde habité, qu’elle qualifie volontiers de féminin, peuplé de couleurs et d’objets doux, attentifs et bienveillants, à l’image du fauteuil Orrechio pour Soca, un fabricant français de mobilier destiné aux professionnels, qu’elle présentait sur le pavillon français du Salone. C’est un pouf dodu, confortable, enrobé d’un large dossier fixé par deux délicates boucles d’oreilles – orecchio en italien – en laiton. Chaque objet raconte une histoire, poursuit-elle, évoque des émotions, sollicite des souvenirs. Une approche, une conviction, qui prend aujourd’hui un sens d’autant plus pertinent : la designer est investie bénévolement, avec l’architecte Bertrand Guillon, dans le réaménagement du service pédiatrique de l’hôpital de La Timone à Marseille…
Elisa Ossino – Géométrie de l’élégance
Designer et architecte d’intérieur depuis 2000, Elisa Ossino affectionne la rigueur de la géométrie et des formes pures. Elle dit puiser son inspiration autant dans la nature que dans la scénographie de théâtre. Pour elle, un espace, ou un objet réussi, sait jouer subtilement des contrastes, faisant dialoguer références anciennes et ultra contemporaines. Une dramatisation tout en nuances, en somme. Pour l’éditeur Spotti Edizioni Milano, elle signe un cabinet en apparence rigoureux, mais à la texture vibrante, dès lors que l’on s’en approche. Check est en effet le fruit d’une réflexion combinant procédés de production industrielle et savoir-faire artisanaux, pour mieux révéler les jeux de surface et de couleur. Ses portes sont ainsi ornées d’un motif géométrique très fin gravé, de manière à laisser apparaître le grain du bois dessous. En contraste, le piétement en tube métallique bleu n’est pas sans rappeler le style Bauhaus et les profilés soir qui encadrent l’ensemble accentuent la dimension graphique du meuble. Une manière de jouer avec les trois dimensions de l’espace pour mieux le mettre en scène.
Alissa + Nienke – Simplicité tactile
Alissa van Asseldonk et Nienke Bongers se rencontrent sur les bancs de la Design Academy d’Eindhoven. « Matière-sensibles », elles ouvrent leur studio de design spécialisé dans la recherche et la création de surfaces dédiées à l’aménagement intérieur. Une approche guidée par la richesse des textures, leur dimension tactile et leur capacité à jouer avec nos sens, la lumière et l’espace. Sur le Salone Satellite, elles présentaient, entre autres, une collection de revêtement mural en auto-édition : Mirabilia. Et si le mur n’était pas seulement une surface lisse et solide, mais un terrain de jeu ? Un élément avec lequel interagir ? Tridimensionnel – la base textile est délicatement découpée au laser et colorée avec des encres bio –, Mirabilia attrape la lumière et l’air, rendant le mur vibrant pour mieux stimuler l’imagination.