Lieu de vie en ébullition, hub urbain et social à la croisée des mondes domestique, touristique et professionnel, l’hôtel hybride aujourd’hui subtilement les fonctions, les lieux, les univers. Comme le souligne souvent l’architecte Jean-Philippe Nuel, il est, par la diversité d’activités qu’il rassemble, un laboratoire des façons d’habiter.

Installée dans l’ancienne annexe de la mairie de la ville, en plein cœur du quartier arty de la Nouvelle Orléans, Maison de La Luz est conçue comme une grande maison d’hôtes (67 chambres), jouant avec l’histoire du lieu et des touches d’art de vivre à la française. Photo Stephen Kent Johnson.
Un lieu, en somme, où s’invente un autre quotidien, sublimé, quelque part entre la maison et un ailleurs exceptionnel. Nous avons synthétisé, dans ce dossier, une sélection des plus belles réalisations hôtelières repérées cette année, et qui, nous ’espérons, sauront inspirer vos intérieurs.
L’époque est à la porosité, aux hybridations, aux joyeux mélanges, et l’hôtellerie incarne cette approche de façon tout à fait passionnante. Challengée par le succès exponentiel de plateforme d’échanges de logements de particuliers notamment, et l’aspiration de ses utilisateurs à d’autres manières de séjourner, elle réinvente en profondeur son modèle. L’objectif principal ? Être capable d’offrir à chacun une expérience authentique, personnalisée, connectée avec son territoire et la culture de celui-ci.
En quête d’expériences
Thomas Garmier, fondateur de The Great Hospitality, une entreprise qui accompagne hôteliers et investisseur dans la mise en œuvre de leurs projets, explique que se sentir présent dans la destination géographique est en effet devenu essentiel. Corollaire, la question du confort est elle aussi revue et corrigée, empruntant à l’univers domestique nombre de ses codes, mais pas que. Lors de la dernière édition du salon Équip’Hôtel, nous avons rencontré Boris Provost, directeur de l’événement, qui nous livrait l’analyse suivante : La principale transformation réside dans le changement de statut de l’hôtel, qui devient un vrai lieu de vie, proposant nombre de services et d’expériences hors la chambre.
L’hôtelier agit comme un animateur, un créateur d’ambiances, faisant prendre à son établissement un rôle social exponentiel, inscrit dans une localité aux couleurs et à la culture singulière. Il va d’ailleurs jusqu’à faire le parallèle avec le drugstore, ouvert 24 heures sur 24, avec en plus l’idée que l’on peut désormais se livrer à nombre d’activités : prendre un verre, faire du sport, utiliser la conciergerie, travailler et éventuellement dormir. Une approche qui n’est pas sans conséquences sur l’aménagement des espaces, brisant les conventions et les codes un peu guindés qui avaient encore cours jusqu’à il y a quelques années. Personnalisation et non-standard sont en effet devenus les leviers principaux de la réinvention des lieux, replaçant l’humain et la convivialité à l’épicentre de la conception.
Domestiquer l’hôtel
Dans un hôtel, aujourd’hui, on a besoin de se sentir rapidement à l’aise, poursuit Boris Provost. Ainsi, les codes décoratifs sont désormais très proches de ceux de l’habitat, avec des salles, des recoins, des zones où se poser, lire, s’adonner à des activités que l’on pourrait faire chez soi. La technologie en plus. On joue sur la porosité des fonctions, le mélange des ambiances. L’architecte d’intérieur Jean-Philippe Nuel, rompu à ce type de programmes, parle de multivers.
L’espace devient la page où s’écrit une histoire particulière, décomplexée, libérée, déstandardisée, assouplie, fluidifiée, depuis les espaces communs jusqu’aux chambres, en passant par les circulations, les entrées, les zones de transition entre l’intérieur et l’extérieur. Une approche, qui permet à chacun de coloniser les lieux en fonction de ses envies, ses besoins, ses activités. Des collections d’œuvres d’art sont même spécialement conçues pour les établissements, contribuant également à donner une couleur unique aux lieux. Bref, on casse les codes, pour ne pas ressembler à un hôtel, mais plutôt à une grande maison.
Bienvenue !
Si vous cherchez une borne d’accueil standard, peut-être même zinguée, derrière laquelle se cacherait une personne très occupée, vous risquez de ne pas la trouver… Attendez-vous plutôt à un super concierge armé d’une tablette, confortablement installé sur une jolie banquette. Là encore, désormais lieu de vie à part entière, le lobby disparaît au profit de micros salons esprit lounge, où discuter, attendre confortablement avec à la main le guide du quartier maison, réalisé par les habitants eux-mêmes. Un bout de canapé ou un petit bureau joliment en accord avec l’esprit des lieux, délicatement posé dans une alcôve, fait désormais office de desk, auréolé d’un éclairage d’ambiance soigneusement disposé. Des entrées inspirantes et cosy, donc, à l’image des maisons qui vous accueillent.

Pour le groupe Experimental, l’architecte d’intérieur sublime un ancien palazzo vénitien aux volumes généreux, jouant sur les formes, les couleurs et les matières évoquant les savoir-faire locaux, et célébrant l’art de vivre à l’italienne. Photo Karel Balas.

Dans le plus grand respect du bâtiment originel, le lobby est conçu comme une succession de petits salons cosy, délimités par des paravents célébrant les soieries lyonnaises, et des bibliothèques double-face, pour mieux redonner une échelle intime à cette architecture grandiose du XVIIIe siècle. Photo Nicolas Mathéus.
Lobby

S’inspirant des couleurs, des lumières et des matières de la région, l’hôtel du domaine sublime les fonctions du lieu, instaurant un art de vivre contemporain et chic au cœur des vignes. Bleu, bois sombre, parquet massif évoquent discrètement l’idée du terroir. Photo Francis Amiand.

L’aménagement du salon des hôtes, avec son bar de jour, joue la carte du mix and match, dans un esprit chaleureux et luxe, évoquant les traditions vaudou de la ville, dans les accessoires de décoration, ou mettant en œuvre les créations des artistes et artisans locaux, à l’instar des tapis, signés Shamshiri et Christopher Farr. Photo Stephen Kent Johnson.
Lounge / Bar

Un bar sur la plage, baigné de lumière naturelle. Ici les architectes jouent la carte de la lumière et de la chaleur, introduisant des touches cannées, des luminaires au dossier des banquettes, dialoguant en toute quiétude avec les niches maçonnées de la bibliothèque, en référence aux techniques de construction locales. Photo Francis Amiand.

Pour mieux inviter hôtes et habitants du quartier à la rêverie et la détente, au cœur de l’agitation parisienne, l’architecte d’intérieur déploie ici une écriture décorative fraîche, jouant avec la lumière et les détails subtils apportés par les combinaisons de matière (voilages en côte de maille et rideaux en velours vieux rose, bar en marbre souligné par des touches de laiton, parquet clair en chevrons, etc.) et le choix des luminaires, à l’instar des lustres XXL de chez Moooi.

Imaginé comme un cocon au cœur de l’agitation de la ville, le club profite de la lumière naturelle, mettant en œuvre des matières douces et des formes rondes, jouant discrètement l’espace. Photo Jérôme Galland.
Convivialité maximum
Lieu de sociabilité presque par excellence, le bar/lounge est l’objet d’une attention toute particulière. Interface entre les espaces publiques et privés, lieu d’échange, de travail, de restauration, lieu événementiel aussi, il se fait modulable, ponctué de coins et de recoins scénarisés, décloisonnés, texturés, savamment éclairés, jouant sur les hauteurs et les perspectives, avec ce petit rien de familier qui fait que l’on s’y sent immédiatement bien, presque comme chez soi. Tables hautes et basses, chaises, banquettes enveloppantes, petits fauteuils lounge, ou comptoirs aux belles matières brutes dialoguent avec les portraits de famille et les bibliothèques garnies d’ouvrages et d’objets curieux, déroulant là encore, toutes les petites histoires que l’on aime se raconter.

En écho aux chais de dégustation du domaine, les architectes développent une écriture décorative plus urbaine, mêlant matériaux bruts, bleu égéen, touches de métal et de laiton. Photo Francis Amiand.

Jouant la carte du mix and match pour écrire une nouvelle page de l’histoire de cet hôtel particulier du cœur de Paris, l’architecte travaille les textures et le mélange des matières et des motifs pour créer une ambiance décontractée.
Convivialité sans frontières
Partage, convivialité, authenticité et expériences… de goût sont ici les maîtres mots. Grandes tablées façon campagne, petits recoins intimistes à la lumière tamisée, micro architectures, matières cosy, grands tapis, éclairages mini et XXL, les espaces de restauration se font polyvalents, multiplient les configurations, les postures hautes ou basses, les ambiances, soignant les détails décoratifs, là encore souvent empruntés à la maison. Petite salle à manger, cantine familiale, bar à snacking rapide, repas sur le pouce dans un joli petit fauteuil… Tout est possible, et poreux. Plus loin, on aperçoit le chef en train de s’affairer… la cuisine est ouverte, comme à la maison !

Laissant parler l’architecture des lieux, la décoratrice instaure ici un dialogue subtil et frais avec le patrimoine, évoquant à la fois les courbes des ouvertures et la préciosité du bâtiment, à travers des jeux de matières frais et subtils : marbre sur le piétement des banquettes en écho aux colonnes, velours rouge, bois brut et métal blanc du mobilier. Photo Karel Balas.

Imaginé comme un théâtre de couleurs vivant, les architectes font ici le choix de garder les traces du bâtiment d’origine, qui tombait en ruines, sublimé par un mobilier aux lignes douces, aux matières chatoyantes et aux couleurs vives, générant ainsi un sentiment de familiarité.
Restaurant

Un salon de thé britannique fusionné avec une cantine chinoise, c’est ainsi que les architectes aiment décrire le parti pris décoratif de la transformation de ce lieu. Évoquant tour à tour les lanternes, les voûtes carrelées des docks britanniques, les chinoiseries dans les textiles, les concepteurs invitent ici à un voyage cosy entre deux continents. Photo Jonathan Leijonhufvud.

Sublimant la verrière de cette ancienne usine textile construite au XIXe siècle, les architectes conçoivent le restaurant comme un jardin d’hiver brouillant les sensations entre intérieur et extérieur : sol pavé, murs en briques peintes dans des nuances de gris clair et vert, structures métalliques jaune vif dialoguant avec l’architecture de la verrière, mobilier en rotin, etc.

L’espace est conçu comme un double hommage : au marché central de Valence, joyau de l’Art nouveau espagnol à la façade richement ornementée et aux jeux de lumière infinis, traduit à travers l’utilisation de fines structures métalliques dialoguant avec les bois bruts et la terracotta, pour mieux célébrer la nature et la fraîcheur de la cuisine. Photo Luis Beltrán.
Dehors, dedans
Brouiller les limites ! Dehors, dedans, on ne sait plus trop… et c’est tant mieux. Qu’ils s’écrivent en jardin d’hiver, sur de petits balcons secrets attenants aux chambres, ou en grande pompe façon palace, avec vue sur la piscine, les terrasses et espaces extérieurs s’animent comme des pièces de vie, mixant les codes et les références. Baies vitrées XXL aux meneaux ultra-fins, éclairage, végétaux, mobiliers et revêtements repoussent littéralement les murs pour le plaisir de l’usage. Résistant à toutes les situations, toutes les températures, les solutions d’aménagement contredisent les saisons, ouvrant partout le terrain à la convivialité partagée.

Ici, la lumière du Sud construit l’espace, discrètement guidée par la pergola truffée de petites ampoules, le mobilier métallique, et le bleu égéen de la façade, en écho à l’aménagement intérieur. Photo Francis Amiand.

Pour la création de ce havre de paix en plein cœur de Paris, l’architecte transpose les codes domestiques de l’intérieur vers l’extérieur, qui, dialoguant avec la mise en scène végétale, brouillent les limites entre le dehors et le dedans. Photo Jérôme Galland.
Forte personnalité
Escaliers, couloirs, sas, zones de transition grignotent certes des mètres carrés… Mais qui a dit qu’ils étaient des espaces uniquement fonctionnels ? Sûrement pas les architectes, bien au contraire ! Ces lieux de mouvement et de passage deviennent des supports à histoires, à très forte personnalité. Scénarisés, parfois à la manière d’un film, ils jouent de détails décoratifs, de revêtements sur-mesure osés, d’éclairages incongrus ou d’orfèvre pour mieux donner le ton, ou pourquoi pas, sublimer les détails architecturaux. La signalétique s’y fait inventive, les recoins offrent de petits moments de pause pour admirer les œuvres d’art soigneusement sélectionnées, accrochées ici ou là… Inspirations pour oser !

En plein cœur de la métropole québécoise, les architectes usent d’un raffinement discret fait de matériaux bruts pour imaginer un espace ouvert, guidé par les arches du bâtiment parées de bois brut. Accompagnées par le jeu des différences de sol (moquettes, marbres, etc.) cette combinaison scande les lieux, rythmant les perspectives. Photo Laurent Guérin.

Les jeux de couleurs vives construisent ici l’espace, le dramatisent, accompagnant la rythmique du parcours tout en cassant la verticalité de l’espace.
Où je veux, comme je veux
Dans sa chambre, on y dort, certes. Mais on y habite aussi ! Merci l’hôtel ! Cassant les codes du lit/chevet/dressing, l’espace nuit devient un lieu de vie à coloniser selon ses envies. Avec pour maître mot le confort, évidemment. Cocon, refuge intimiste, elle se décloisonne, se réorganise, ce, quel que soit le nombre de mètres carrés. On y traîne seul, à deux, en famille. Le lit se fait plus bas, ménageant de nouvelles perspectives, la baignoire sort de la salle de bains. L’éclairage est très étudié, la connectique, impeccable. Le mobilier se fait multifonction, lounge un moment, espace de travail improvisé à un autre. Enfin, les couleurs, les œuvres, les motifs, les textures parent les lieux de vibrations uniques et personnalisées.

Les murs colorés servent de support aux têtes de lit suspendues, ainsi qu’aux appliques.

Jeux d’aplats de couleurs, de textures et de motifs. Les petits retours des têtes de lit sur-mesure intègrent les liseuses et la connectique.

En résonnance avec l’architecture des lieux, les têtes de lit jouent avec le motif des arches, décliné en bois et textile. Photo Karel Balas.

À l’instar du reste du bâtiment, les têtes de lit des chambres célèbrent le style de l’Art nouveau, mêlant subtilement motifs floraux et matières douces (velours, lins, cotons), courbes délicates et déclinaisons de bleus pour mieux rappeler l’univers des Arts & Crafts de William Morris. Photo Hervé Goluza.

Jouant avec l’architecture radicale du bâtiment, l’architecte crée une petite bulle autour du lit, avec des courbes rétroéclairées parées de cuir. Photo Andrea Martiradonna.
Chambre

Ici, les aplats de couleurs profondes au mur, au sol et sur les rideaux en velours jouent des volumes simples, mettant en valeur la table et les chaises, et l’éclairage artificiel dont les fils animent graphiquement le plafond. Photo Andrea Martiradonna.

L’aménagement mêle ici subtilement les styles et les époques, unifiés par la couleur, pour créer une atmosphère intimiste. Tapis d’inspiration Kilim au sol, banquette façon Art nouveau, fauteuil vintage sixties…

Ode à l’art de vivre à la française, la suite fait dialoguer les époques, magnifiant les détails architecturaux de cet hôtel particulier parisien, revisitant la tradition de la tapisserie avec les tapis contemporains posés au mur, mariés à la douceur des couleurs et des matières. Photo Guillaume de Laubier.
SPA miniature
Il est révolu le temps où la salle de bains était réduite à sa plus simple fonction. Quel que soit le nombre de mètres carrés, version mini ou maxi, elle est au cœur de toutes les attentions. Ouverte sur la chambre, fermée ou escamotable, éclairée naturellement, végétalisée, elle joue la carte des détails sans rien concéder à la performance, à l’urgence environnementale et surtout au bien-être. Revêtements, robinetterie, lavabos, cloisonnements frisent l’orfèvrerie, tandis que les accessoires se font malins et ultra-fonctionnels, pour mieux dégager le sol et laisser circuler le regard. Inspirations pour une pause enchantée, hors du temps.

Jouant des décrochés architecturaux, l’architecte, filant le motif de l’arche, installe une banquette en alcôve attenant au petit bureau avec son fin plateau en marbre. Photo Karel Balas.

Attenante à la chambre, la salle de bains emprunte ses codes à la maison, jouant la carte de la sobriété. Photo Francis Amiand.
Salle de bains

Tons poudrés, matériaux précieux, appliques et miroir réalisés par des artistes locaux composent un espace serein et légèrement hors du temps. Photo Stephen Kent Johnson.
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Texte Maëlle Campagnoli