Paris, New-York, Londres, Valencia, Bagnols, Cologne ? Le point commun ? Chacune de ces villes inscrit l’univers hôtelier dans la modernité. Oui, l’hôtel se réinvente ! Il nous plonge dans un monde directement inspiré de nos modes de vie. Comment ? Dans le prisme de l’architecture d’intérieur, de la décoration et du design. Une réflexion globale qui fixe de nouveaux codes, notamment dans l’appréhension des chambres. Pour les décrypter : Jean-Philippe Nuel. L’architecte d’intérieur gravite dans le monde hôtelier comme un chimiste dans son laboratoire.
Depuis plus de 20 ans, il a fait de cet univers d’évasion son terrain de prédilection. On ne compte plus ses références iconiques, reliées par sa passion inaltérable, sa capacité à réinventer et à placer l’humain au centre de toutes ses réalisations. Jean-Philippe Nuel nous révèle sa vision de cet écosystème foisonnant pas si éloigné de l’univers résidentiel…
Casser les codes
Pour mieux les réinventer ! L’architecte d’intérieur met en relief l’évolution importante du monde hôtelier cette dernière décennie : « aujourd’hui, la plupart des hôtels cultivent le contemporain, avec une créativité et un design démultipliés. Il y a 5 ans, avec l’arrivée de la crise économique, on a vu l’émergence d’un besoin de se recentrer sur l’essentiel, de pérennité. La créativité est toujours présente, mais loin d’une dimension jusqu’ici internationale, au profit d’une identité affirmée par un lieu, un environnement, un quartier. Les hôtels ne se ressemblent plus. » Pourquoi ? « Parce nous attendons de la créativité, de l’émotion, un lieu qui s’inscrit dans le parcours du voyage et non dans sa finalité. L’hôtel exprime un registre attrait au ressenti, aux mutations sociologiques. De pair, il doit prendre en ligne de compte les modes de vie et les évolutions technologiques. Sa conception doit en être l’illustration spatiale et matérielle, avec une technologie, certes élaborée, mais simple et intuitive pour le voyageur. »
En prise avec le lieu
La conception d’un hôtel s’inscrit aujourd’hui dans son quartier, son environnement. Il renoue avec une volonté de proximité : « l’hôtel est synonyme de lieu de vie, de rencontres. La place donnée à la chambre est minimisée par cette nouvelle énergie insufflée aux parties communes. Cette ambition se matérialise par une empreinte architecturale focalisée sur des zones conviviales, accessibles à tous. Il n’est plus nécessaire d’être touristes pour profiter de l’hôtel. Tout le monde peut se restaurer, profiter des salles de réunion, de la boutique… L’établissement s’illustre alors par une réelle valeur ajoutée, qui participe à enrichir le séjour. Bien sûr, il y a une raison mercantile qui se traduit notamment par le développement des boutiques-hôtels, restaurants, de bar-lounge….
Cela favorise une intégration dans le paysage local à même de créer un lien identitaire entre l’architecture d’intérieur, la décoration et le patrimoine environnant. On ne peut s’empêcher de comparer cette conception à l’univers résidentiel. Aujourd’hui, nous parlons au sein de l’environnement domestique de « suite parentale ». Ce n’est pas anodin. Même les chambres des enfants se composent de mises en scène évolutives, d’espace « réception amis »…. Chacun a son refuge, pour mieux se retrouver dans des pièces de vie décloisonnées, rehaussant le partage et la convivialité.»
Et les évolutions
Cette nouvelle approche de l’hôtellerie s’exprime également par le reflet des modes de vie et de travail : « le tourisme d’affaires abonde dans ce sens. Les gens ne travaillent plus comme avant. Aujourd’hui, ils sont nomades, via les tablettes, les ordinateurs portables. De ce fait, le temps est moins segmenté et formalisé. L’hôtel cristallise ces mutations en une évolution scénique résolument différente. La technologie contribue à ce renouveau. Je n’intègre pratiquement plus de bureaux dans les chambres, au profit de tables rondes multi-usages. Ainsi, on peut évoluer autour de la table, faire une conférence dans un fauteuil ou sortir de cet univers et travailler dans le lobby…
Plus rien n’est figé. Les téléviseurs ultrafins permettent également de gérer l’espace différemment. La chambre laisse une part d’appropriation libre. Vous régentez l’espace en fonction de vos habitudes. La cloison coulissante entre la zone bain et nuit peut rester ouverte pour profiter un maximum du volume global ou au contraire retrouver chacune leur intimité. Les gens souhaitent des chambres moins codifiées. Il faut que les éléments soient multiples et polyvalents. Bien souvent les voyageurs ne défont plus leurs valises. Raison pour laquelle, j’intègre de grandes banquettes, tenant lieu de repose valise…. Ce sont tous ces petits détails qui participent au confort et au bien-être d’un hôtel. »
La technologie, oui, mais dans sa définition la plus simple.
En ce qui concerne la technologie dans une chambre, Jean-Philippe a une règle d’or. « La technologie, oui, mais dans sa définition la plus simple. Une règle d’or qui donne accès à des systèmes plus élaborés, mais en surface plus intuitifs. Tout simplement parce que nul n’a le temps d’apprivoiser une technologie complexe. La chambre de demain sera probablement connectée automatiquement aux Smartphones, tablettes, pour piloter la lumière, les rideaux… »
Retour au naturel
Concernant l’élément principal, à savoir le lit, la tendance est le résultat d’une volonté de simplification et d’ergonomie. « En effet, le lit reste fondamental. Il ne faut pas oublier pour quelle raison les voyageurs sont là ! Nous offrons du sommeil. Il y a eu beaucoup de progrès en ce sens, sur la qualité du couchage. Comparé à une quinzaine d’années, le sommier a pris de la hauteur. Son épaisseur s’est étoffée de matelas généreux, complétés par un sur-matelas. Cette surélévation est en lien avec l’entretien des chambres. Les gouvernant(e)s n’ont plus à se plier en deux, notamment via des systèmes qui se lèvent automatiquement…
Comme dans tous les univers, des micro-évolutions apparaissent, dans la chambre, en faveur d’un lit résumé à son plus simple apparat. Immaculés, les draps se séparent d’une multitude de couvertures, jetés de lit… Les moquettes disparaissent laissant la place au parquet, en lien avec une dimension plus saine, qui va de pair avec une démarche durable. Le design doit l’exprimer naturellement. »
Renouveler l’expérience
Mais comment réagit le monde hôtelier face à des solutions alternatives fleurissantes, à l’instar des locations d’appartements, maisons ou même des containers ?
« Du point vue sociologique et architectural, il est important de s’interroger sur cette nouvelle appréhension du tourisme. Ce qui est intéressant, c’est cette envie d’être intégré dans la ville. Psychologiquement, vous devenez un habitant éphémère, certes, mais avec un rapport au quartier différent. Vous pouvez vous transposer pour mieux vous imprégner de la culture locale.
C’est une expérience qui va dans le sens des hôtels plus identitaires, moins normatifs, ancrés dans leur environnement. S’en inspirer oui, mais sans tomber dans le mimétisme. Si vous avez la sensation d’avoir la même chose que chez vous, vous perdez l’intérêt. L’hôtellerie doit aller plus loin et proposer une expérience enrichie, sublimer l’esprit résidentiel. Mon cheval de bataille : casser les codes, mais pas seulement. Il y a une vraie recherche à entreprendre dans la volumétrie. La spatialité des hôtels a été considérablement stéréotypée.
Le dépaysement passe par un véritable travail d’architecture d’intérieur, une nouvelle grammaire spatiale. Bien évidemment, ce n’est pas si facile. Nous sommes obligés de rationaliser pour des raisons économiques, durables. L’exercice volumétrique est plus simple à réaliser dans la rénovation de lieux historiques. J’ai eu la chance de participer à de nombreux projets, l’hôtel 5 Codet à Paris, le Molitor ou à venir l’Hôtel-Dieu à Lyon. Dans la rénovation, les contraintes apparentes deviennent des atouts. Les très grandes hauteurs sous plafond ont permis l’insertion de mezzanines, de structurer le volume autrement. On retrouve ainsi une richesse pas seulement décorative, mais également architecturale, dans les chambres et dans les parties communes.
Nous tendons vers une expression moins formelle qui passe par la valorisation du personnel. Le service se réinvente. Preuve-en est, à l’hôtel Molitor, nous avons ouvert une partie du backoffice, un espace de travail pour le personnel en lien visuel avec le lobby. Il participe ainsi à cette nouvelle énergie de proximité. L’hôtel de demain passe par la prise en compte du facteur humain. »
Jean-Philippe Nuel – Architecte d’intérieur.