En juillet dernier, Marta Urtasun et Pedro Rica, de l’agence madrilène Estudio Mecanismo, livraient un petit paradis de luxe, de calme et de douceur situé sur le mont Igueldo, à quelques encablures de San Sebastián.
Avec une vue imprenable sur la mer Cantabrique, l’Akelarre Hotel (5 étoiles), bâtiment contemporain semblant émerger de la montagne elle-même, enveloppe subtilement l’établissement d’origine (3 étoiles Michelin), tenu par le chef Pedro Subijana depuis 1975. Un morceau vivant de l’histoire de la gastronomie moderne qui donne ses lettres de noblesse à l’hôtellerie-restauration actuelle.
Tel chef, tels architectes ? Force est en tout cas de constater que bien qu’Akelarre soit une institution culinaire depuis plus de 40 ans, l’hôtel, lui, n’aurait peut-être pas pu ouvrir à un autre moment ni être conçu par d’autres… L’édifice, et le nouveau mini complexe qu’il crée (22 chambres et suites, un spa, un bar, une cave et une seconde table), est en quelque sorte l’aboutissement d’un processus de recherche et d’un positionnement bien mijoté, tant du côté de la maîtrise d’ouvrage que la maîtrise d’œuvre. Cinq années d’études puis de travaux, ainsi que deux mois de fermeture totale auront été nécessaires à la concrétisation du projet d’une vie.
Natif de San Sebastián, le chef Pedro Subijana est un pionnier et un ambassadeur de la nouvelle cuisine basque. Passé derrière les fourneaux d’Akelarre en 1975, il fonde l’année suivante avec des confrères, un groupe qui ne quittera plus les avant-postes de la gastronomie nationale. Sous l’influence de chefs comme Paul Bocuse qu’ils fréquentent, ils entreprennent collectivement un profond travail de redéfinition, de recherche, de création, tant technique que gustatif. Ils ressortent les recettes traditionnelles, les valorisent, les transgressent, les réinventent, avec toujours la même obsession : sublimer les produits, les goûts, et repousser les limites de leur art. L’impact est important. Il transforme l’attitude générale des chefs en Espagne, influence la production agroalimentaire locale, mais surtout, crée une relation forte et nouvelle entre tourisme et cuisine, dessinant peu à peu les contours contemporains de l’hôtellerie-restauration.
Nous avons presque toujours eu des chambres, raconte Pedro Subijana. J’ai obtenu ma première étoile en 1978, la troisième en 2007. Entre-temps, l’hébergement n’était vraiment plus à la hauteur du projet. Mais je ne voulais pas non plus qu’Akelarre devienne « le restaurant de l’hôtel ». La route du chef croise alors celle des architectes d’Estudio Mecanismo. Ils sont évidemment plus jeunes. Ils ont ouvert leur agence en 2012. Mais leur approche de la conception, prospective, est basée sur un profond respect des matériaux, du contexte, et sur la mise en œuvre rigoureuse des idées, jusque dans les moindres détails.
À l’image de l’esprit des lieux et de leur propriétaire, en somme. Marta Urtasun et Pedro Rica dessinent cinq cubes de pierre sur deux niveaux, émergeant de la pente de la montagne, qui sertissent la construction d’origine située plus en amont. À la manière des molécules liant une sauce aux multiples ingrédients, de douces circulations intérieures et extérieures vêtues de bois relient harmonieusement l’ensemble et contrastent avec les arêtes saillantes et la pierre du nouvel édifice. Les vues lointaines sur la mer et le village en contrebas ne sont jamais brisées. Accentuant encore la proximité avec le contexte naturel, les ouvertures toute hauteur et les garde-corps en verre fonctionnent comme des cadrages sur le paysage. Les toitures accueillent des terrasses en platelage, elles aussi circulaires, alternant avec des parties végétalisées et des ponts menant au restaurant et au bar. Les aménagements sont très soigneusement dessinés, des vastes chambres (50 mètres carrés minimum) aux espaces collectifs (une magnifique cheminée en marbre noir structure par exemple le lobby). Les matériaux (pierre, bois, métal et lin) organisent une partition créant des ambiances dynamiques et apaisantes. Le mobilier, lui aussi, puise ce qu’il faut dans la tradition et l’esthétique des arts décoratifs, entre courbes et géométrie.
Tout ici, du micro au macro, fait émerger une symbiose, un goût juste et équilibré, entre existant et nouveauté. Et puis, quel que soit l’endroit où l’on se trouve, il paraît que le coucher de soleil est à couper le souffle…