Célébrant la rencontre de l’artisanat, des artisanats même, qu’il croise au fil de ses voyages, et des nouvelles technologies, Sebastian Herkner, designer de l’année lors de la dernière édition du salon MAISON&OBJET Paris, développe une approche raisonnée et responsable de la création. Loin cependant de tout militantisme, il revendique la précision et la sensualité du dessin comme préalable indispensable à la véritable durabilité.
Sur l’espace d’exposition que lui consacre le salon MAISON&OBJET, Sebastian Herkner a pris le parti de montrer l’envers de son travail. Ici, le fauteuil Mbrace (Dedon, 2016) est en cours de tissage. Là, la chaise 118 (Thonet, 2018) dévoile ses composants : piétement, assise, dossier, comme pour mieux illustrer la rencontre entre un savoir-faire vieux de près de 200 ans, le bois courbé, et les technologies contemporaines de découpe laser. Plus loin, la table basse Bell (ClassiCon, 2012) se raconte, elle aussi, en pièces détachées, accompagnée d’une vidéo in progress, magnifiant le savoir-faire des maîtres-verriers à l’œuvre, dans l’atelier bavarois installé en lisière de forêt depuis 1598.
Chaque pièce est en effet intégralement produite ici, depuis les moules en bois servant à la fabrication du piétement soufflé, tournée et usinée sur place, à l’assemblage du plateau en laiton et verre, en passant par la recette jalousement gardée de la composition du verre. Pourquoi un tel choix scénographique ? Car montrer « le temps du faire » est pour le designer le meilleur moyen de raconter la vraie valeur des choses et de témoigner, par la même occasion, d’une magistrale démonstration de sa philosophie du design. Il s’explique : La plupart des gens n’ont pas idée du temps nécessaire au faire, tant il est facile d’avoir accès aux choses. Vous vous connectez le soir sur un site marchand, passez votre commande et êtes livré le lendemain.
C’est la raison pour laquelle les objets sont ici présentés dans leur contexte de production. Derrière un objet, il y a des hommes, des savoir-faire, des matières premières, bref, des heures et des heures ! Il faut par exemple quatre jours aux artisans philippins pour tisser Mbrace. Je crois que nous vivons dans un monde qui devrait réapprendre la patience. Une ode, au fond, à une forme de durabilité raisonnée, loin du rythme effréné du consumérisme ambiant… et des effets de mode. Car au-delà du (savoir-) faire, préalable à chaque nouvelle pièce (tapis, lampes, mobilier, lunettes, etc.), le dessin du designer, ses lignes, ses couleurs sont un ancrage réel dans l’époque et ses usages.
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Texte Maëlle Campagnoli